Ces temps derniers, je m’inquiète. Je m’inquiète pour notre humanité, pour la planète et le vivant. Non pas d’une inquiétude théorique, un peu policée et gentiment offusquée. Je m’inquiète profondément, dans toutes les fibres de mon être, avec un sentiment d’urgence et de non-retour.
Et c’est un sentiment nouveau cette inquiétude. Car, même si, comme bon nombre d’entre nous, j’ai été exposée cette dernière décennie à propos alarmistes sur le climat, l’état du monde et les dérives capitalistes, j’avais jusqu’ici toujours conservé foi dans la résilience et l’intelligence de notre planète. Mais là, je sens que quelque chose d’autre se dessine, à la fois de façon grossière et pataude, et aussi de façon perverse et dissimulée. J’ai le sentiment d’un tournant dans l’histoire humaine et du monde, je sens que nous vivons ce moment charnière qu’à postériori on nommera comme décisif ou irréversible, si nous sommes encore là pour le dire.
Je ne sais même pas par quoi commencer : Elon Musk et la dérive du capitalisme sauvage ? Trump et la perte de la vérité ? La marchandisation de notre planète ? L’impunité glorifiée ? L’apathie généralisée devant des situations monstrueuses ? Gaza détruite ? Israël embourbée dans le scénario auquel son existence même cherchait à remédier ? L’Afrique ignorée, l’Asie exploitée, l’Europe instrumentalisée ? Et le plus dur peut être, le manque ou l’absence de réaction devant tout cela.
Ca me fait peur. Suis-je la seule à être inquiète ? Suis-je la seule à me dire qu’on est à ce moment de glissement que l’histoire retiendra peut-être plus tard comme “la montée du fascisme”, “la violence normalisée”, “la purification éthnique et le génocide avalisés” ? Petite j’avais appris à l’école et dans la famille, le danger du silence devant la montée du nazisme et l’idée qu’on pouvait être du bon ou du mauvais côté de l’histoire. J’ai le sentiment désagréable, insupportable presque, d’être déjà prise, par mon inaction, dans une forme de collaboration. Le mot est fort dans notre culture et histoire française, mais le non-agir, ou le non-réagir, est une forme d’assentiment. C’est une façon lâche, totalement égoiste, de laisser faire l’impensable. “J’étais là, mais qu’est ce que je pouvais faire ?”, “je ne me suis pas rendue compte”. Et c’est bien ça le problème, je me rends bien compte.
Je réfléchis donc beaucoup à l’action, au sens le plus large. Je continuerai donc à être choquée ou même scandalisée quand un pays pense pouvoir en acheter un autre sans égard pour sa population, quand la destruction de notre planète est justifiée par des modes de vie destructifs et une modernité sans âme, quand les hommes, femmes et enfants sont tués par vengeance, quand les esprits sont manipulés par le gain et l’avarice.
Les informations défilent sans hiérachie sur nos feeds, l’horreur est noyée dans un flot d’images, la plupart sans intérêt et de plus en plus fabriquées. Le vrai n’est plus un point de repère contactable, il a disparu dans l’artificiel et le virtuel, érigés au rang suprême par les milliards investis dans cette perte totale d’humanité. Et l’industrie du bien être, dont je fais malgré moi partie, fait l’autruche. Il serait en effet dommage d’aller noircir un scénario tout lisse où le “self care” prime sur l’empathie.
Mais tout, tout est politique. Le yoga est politique. La méditation est plus que jamais un acte de rebellion. Elle est voie de liberté. Pas voie vers “ma liberté où je fais ce que je veux”, mais voie de libération de l’égo et de ses manifestations terribles auxquelles nous assistons en ce moment. L’égo défend son territoire, ses “vérités” — qui sont mensonges et manipulations — ses dogmes et ses conventions. L’égo se protège de ses peurs par l’exclusion, la discrimination et la domination. La méditation est la dissolution de l’égo ou du moins son assouplissement. Un égo sain, ou assaini, sait voir l’autre, comprend la vérité de l’interdépendance, sait que nous faisons tous partis du tissu du monde.
Et non, tout cela n’est pas une question d’opinion. Car comment avoir une opinion sur la survie des espèces, la santé de nos enfants, la bienveillance nécessaire à notre équilibre ? Je dis tout cela et pourtant, je sens, quelque part en moi, une voix craintive qui aimerait que je ne poste pas cet article, que je reste retranchée dans un silence distant. Plus pratique, plus confortable de se conformer à l’apathie ambiante, de vendre des services “neutres” et de donner une image marchande, c’est à dire qui ne fait pas de remous. Mon hésitation vient aussi du fait que certains, en lisant ce poste, seront tentés d’argumenter le contraire. Et je sens déjà mon coeur qui se brise de lire qu’il est préférable de s’occuper de soi que de s’occuper des autres, comme s’il y avait une différence.
Mon souhait est simple et peut paraitre parfaitement inutile, mais je crois à sa puissance : faisons de notre méditation, non un instrument de repli vers “soi” ou une façon de plus de se séparer du monde, mais une ouverture radicale du coeur. Osons sortir de notre cocon, nous exposer à la nature, aux éléments, à l’effort, à l’inconfort. Cessons de croire en nos “besoins”, surtout les besoins matériels, consommons moins et mieux. Pleurons quand on voit des enfants mourir, sentons le coeur des mères et des pères, comme si c’était le nôtre. Offusquons nous quand l’absurdité se manifeste. Tournons nous vers le vivant, il est temps.