Thamel, tour de quartier
Ce qui m’étonne surtout c’est la vie des gens. Comme cette femme que je viens de voir sans casque à l’arrière d’une moto. Dans quelles conditions vit-elle ? Trouve-t-elle du calme parfois ? Quels sont ses rêves ? A-t-elle déjà été voir les montagnes lointaines que j’ai aperçues de l’avion ?
Je vais chercher un refuge les prochains jours, en essayant de ne pas me perdre. Le grand jardin dont j’ai vu les longs murs depuis le taxi. The Garden of Dreams.
Je ne pense pas aimer Thamel, même si c’est drôle, c’est sûr, cet enchevêtrement de motos, magasins et humains. Mais il y en a trop. De trucs, de plastique, d’odeurs, de couleurs. Et bien sûr de bruit. Je ne cherche pas le typique du touriste. Mais l’authentique. J’ai vu de toutes petites échoppes plus loin à côté de l’aéroport, avec plein de couleurs et des femmes en sari. Les gens avaient l’air d’habiter dans ces quartiers. Pas une seule tête blonde. Ici, les locaux viennent y travailler. Pour ceux qui ont de la chance j’imagine.
Hotel Manang
Dans mon hôtel 4 étoiles, tout est biscornu : les interrupteurs, les tableaux, les portes. Mais il doit certainement être opulent pour le personnel qui gagne par mois ce que je dépense en deux ou trois jours.
Namaste n’est plus le code qui dit « je fais du yoga et suis spirituelle », ici ça se dit avec un sourire spontané, même pour t’ouvrir une porte.
Garden of Dreams
Garden of dreams. Drôle de havre de paix. Tout petit par rapport à ce dont je m’attendais. Mais lush, c’est le mot qui me vient en anglais. Beaucoup de personnel dans ces lieux touristiques. Noblesse naturelle. Une bonne dizaine d’hommes et femmes arrosent et nettoient. C’est agréable de voir ce soin et ces gens. On en a perdu l’habitude dans notre monde occidental tout automatisé.
Je vois comment les colons pouvaient aimer ces espaces préservés. L’argent donne accès à un calme et propreté relatifs. À côté de moi parlent des anglaises, plus loin un homme lit. Ce que j’avais prévu de faire, mais j’ai oublié mes lunettes, je tape donc en espérant que le correcteur d’orthographe ajustera au fur et à mesure.
De mon expérience de ce matin, je sens la possibilité d’une appartenance. Je projette sur mes déambulations la même attitude que celles que les hippies avaient, je m’imagine, un lieu autre, et justement par son altérité, la possibilité d’une ouverture de l’être. Étonnant comme la distance géographique est aussi mentale ou psychique.
D’ailleurs le mot mental ou esprit me fatigue. Parce qu’il semble désigner quelque chose, comme si on pouvait discerner un espace précis à certains des mouvements qui composent notre identité. Cette fâcheuse habitude occidentale à penser à nous en « parties », censée aider à créer de la distance, mais laissant par là même croire à un contrôle possible. Comme « je » était toujours extérieur et pouvais faire obéir les autres « parties ». Quelle illusion. Celle même qui crée notre souffrance.
Le café fait enfin passer mon mal de tête. Je sens une petite touche d’élan intellectuel. Vivifiant. Ou est ce simplement un retour à la « normale » qui me rassure ?
Je pense à Ezraa, mon fils, je me force parfois même à me rappeler de notre coexistence. Il est là bas et moi ici. Et dans un sens, cela change tout. Il prend une autre réalité, différente de la mienne et je lui rends sa liberté. Ces liens de co-dépendance qu’on a créés rendent notre relation d’une infinie tendresse et m’émeuvent rien que de les évoquer. Mais ils perpétuent des réactivités qui ont remplies leur rôle et peuvent maintenant laisser place à une relation nouvelle.
Ambiance de rue
Des rickshaws vides, des centaines de motos et scooters klaxonnant pour des raisons non identifiées. Des occidentaux en sandales, avec des dreadlocks qui ont pu être blondes, et le corps parfois entièrement tatoués. Des couples en short, avec des sacs à dos d’alpinisme, qui ont peur de traverser la rue et restent au bord hésitants. Des bruits de travaux de toute part. Des petits camions qui livrent des cartons et des barrières et des gros sacs en toile. Et qui klaxonnent en repartant. Toujours sans raison apparente. De tous petits taxis bariolés et des gros 4x4 aux autocollants promettant l’aventure. Deux touristes déplient une carte, je suis même surprise que ça existe, les rues étant un enchevêtrements de passages, de portes, de détours et escaliers.
Bar de l’hôtel Manang
Deux alpinistes américains assis à ma gauche parlent très fort de leur ascension. Je sens que l’un d’entre eux veut m’impressionner (il n’y a que moi à impressionner) par son récit du mauvais temps qui les a surpris à un camp d’altitude (je n’ai pas compris quel sommet, pourtant l’info principale pour susciter une réaction chez moi).
Ils m’ont vu plus tôt avec Jeannette et son ami le guide népalais cramé par le soleil. Tous deux himalayistes chevronnés. Peut être leur façon de dire : « nous aussi on fait partie du club des hauts sommets ». S’ils savaient que rien que Island Peak me fait rêver.
Festival de Tihar
Feu. La ville se prépare pour le festival. L’accueil de la lumière au même moment ou dans d’autres parties du monde on célèbre l’obscurité. Aujourd’hui c’est Halloween. Cela ne veut rien dire ici même si un ou deux cafés pour touristes ont tenté de décorer leur entrée avec des ballons oranges, censés j’imagine évoquer les citrouilles.
Ce matin, les magasins ouvraient tout juste quand j’ai traversé Thamel. Des guirlandes de fleurs oranges — lesquelles ? — sont placées le long des fenêtres et pendent des balcons. Je suis à la fois curieuse et n’ai pas envie de fournir l’effort qui me ferait déambuler dans les rues bondées à la nuit tombée pour voir le spectacle.
Toujours est-il que la présence de la lumière à cette époque de l’année est étonnante. Et nous rappelle à quel point notre rapport aux éléments est conditionné lui aussi. Car ici au Népal, c’est la lumière de la lune qu’on accueille plutôt que la disparition de celle du soleil. Un clin d’œil à la possibilité qui s’ouvre quand on sait juste voir autrement le mouvement du monde et de ses planètes.