Chronique d'une aventure himalayenne 4

Publié le 5 janvier 2025Nature

Écriture

En fait il n’y a vraiment que le ressenti et l’ouverture qui m’intéressent et c’est d’eux dont j’ai envie de parler. Le rassembler ou les méthodes ne m’intéressent pas. Les moyens, la technicité, les outils, le comment faire, m’emmerdent. L’être me passionne. L’expérience. L’experienciel.

Voix. Voie.

J’entends une enfant qui parle à la serveuse en anglais avec un ton autoritaire. Je suis surprise de cette confiance dans une voix aussi jeune. Je lève la tête et vois une femme d’une trentaine d’année. Elle est accompagné d’une homme jeune lui aussi. Je me demande s’il est gêné lui aussi par cette voix si infantile. Parce que c’est bien de la gêne que je ressens en la regardant.

Penser et ressentir

Je devrais aller à Bodnath. Là aujourd’hui. Parce que je suis bouddhiste et que je ne peux pas louper ça. Et il y a Shirley aussi. Qui a l’air très impatiente de me voir. Voilà ce que je pense.

Le plaisir d’être seule, de me laisser porter sans véritable programme. L’envie de dormir au frais aussi. Peut être de lire et de pratiquer dans l’obscurité de ma chambre. Voilà ce que je sens.

Bodnath

Une belle claque ce matin au monastère de Shechen. Le jardin d’abord avec ses avocats, sa douceur, sa fraîcheur. Puis Shirley m’a emmené dans la pièce où il y a cette statue saisissante de Dilgo Kyentse et ses rupa. Quelle présence. La nature de l’esprit là directe et sans encombrement. On a pratiqué là côte à côte. Buddha, dharma, sangha manifestés.

Je me vois y retourner, avec Ezraa. Qu’on vive ensemble cette appartenance, ce sens.

Tourisme

Je n’aime pas être touriste. Je suis un peu déçue de n’être pas plus à l’aise, plus enthousiaste. Et pouvoir dire : « j’adore Katmandou, c’est ma deuxième maison ». La vérité c’est que j’adore la vie calme sur le haut plateau où j’habite en France. Le rythme à la fois libre et discipliné de mes journées. Le silence qui permet de me plonger dans les sensations de mon être et du monde.

Une finesse et des nuances qui sont plus difficiles à entendre ici, elles se perdent dans la cacophonie ambiante. Elles semblent être effrayées et même capituler devant les kilomètres de choses en plastique made in china à destination des touristes. Acheter, ramener chez soi, rassure peut être. En donnant une sorte de trace de notre passage, et en objectivant notre expérience. Le bol tibétain ou le mandala, ou le faux sac the North Face, on justifiera notre achat en disant qu’on a fait une affaire. Et surtout on pourra dire qu’on y a été, certains même auront « fait » Katmandou. Car il est bien plus simple d’arrondir les angles de l’expérience que de ramener comme souvenir la laideur, le bruit, l’inconfort, la saleté qui font aussi partie du voyage.

Quand j’entends certains occidentaux me parler de la beauté de l’Inde ou du Népal, je me demande ce qu’ils ont vu. Ou ignoré plutôt. Toutes ces vies dont finalement on ne sait rien, ces femmes qui me servent mon café au petit déjeuner, ou dorment elles la nuit ? Que disent-elles de ces occidentales qui dépensent pour une chambre d’hôtel ce qu’elles, elles gagnent en plusieurs jours ou même semaine ? Peut être même que leur famille les estime chanceuses car elles, elles parlent les quelques mots d’anglais qui leur permettent d’avoir accès à ces boulots indéniablement privilégiés dans la société népalaise. Je crois que c’est cela qui me dérange le plus, ne pas être dupe de l’exotisme, être parfaitement consciente de mon privilège d’occidentale qui fait que les rapports ne seront jamais spontanés et authentiques mais guidés par une hiérarchie implicite. J’aimerais être invisible ici. Pour ne pas sentir cette distance.

J’envie les occidentaux bouddhistes qui se sentent chez eux. Qui ont le sentiment d’être « à la source ». J’aimerais avoir trouvé enfin le « centre », mais ma journée a Bodnath hier, au cœur du bouddhisme tibétain, a rendu encore plus fort le sentiment que ma pratique n’a finalement pas de géographie. Je vois ici le poids des superstitions, d’un bouddhisme religieux qui est certainement aussi une forme de contrôle. Et je reconnais l’incroyable finesse de Mingyur Rinpoche dans sa capacité à naviguer ces contrastes et à s’adresser à notre humanité au delà du bouddhisme et de ces formes. Peut être est-ce arrogant de ma part, mais j’ai le sentiment d’avoir compris l’essence des enseignements, ou du moins d’être sur la voie d’une compréhension vraie et profonde, et que toutes les ornementations n’ont finalement que peu d’importance. Me laisser guider par la vision plutôt que par les moyens.

Voyager sans être touriste. Peut être cela résume-t-il le sentiment du jour. Que ce soit dans le voyage géographique, culturel aussi bien que dans la voie spirituelle.