Chronique d'une aventure himalayenne 9

Publié le 5 janvier 2025Nature

Lobuche, 5000m

Je sens un petit besoin de confort. Pour l’instant je le trouve dans le périmètre de mon sac de couchage où je me suis réfugiée toute une partie de l’après midi. Les lodges sont sales. Moi un peu moins, j’ai pris une une douche en essayant de ne pas bouger les pieds dans une cabine crasseuse.

Nous avons marché d’un pas à la fois doux et vif le long de la moraine latérale du glacier du Khumbu. Une vue saisissante sur la face Nord de l’Ama Dablam, la montagne de mes rêves. C’est une histoire que je me raconte, je ne sais pas si elle est vraie. Mais les rêves ne sont t-ils pas tous fait d’une envie floue qui fait aussi peur ?

Jeannette et Phunjo me disent que c’est possible. Ce que j’aime c’est l’idée d’avoir cet objectif démesuré, que je n’avais jamais sérieusement envisagé. Ce qui m’intimide le plus est finalement de devoir apprendre avec d’autres les gestes techniques. J’aime faire mon chemin seule.

À notre droite il y avait Nupste et Lhotse et derrière nous Cholatse le sommet qui fait rêver Jeannette. À notre gauche Lobuche.

La nuit dernière, il y avait un groupe de québécois très bruyants avec 3 enfants dont une toute petite. Blonde aux yeux bleues, absolument pas intimidée par l’environnement. J’ai appris ce matin par Phunjo, que le papa de cette petite avait grimpé 11 fois l’Everest avec succès. Je me demande ce qu’est une vie d’alpiniste, elle doit être un peu comme celle des astronautes. Ils voient l’espace, et retournent sur terre et les petites préoccupations. Comment joindre les deux ?

J’aimerais un peu plus de confort, de propreté surtout, et en même temps je suis vivante ici. Astronaute de la vie. Les montagnes, exploration du monde. Tout y est.

Island Peak, 6183m

Je rajoute ce paragraphe un mois après mon retour en France; au moment où je poste mon journal sur ce blog. La chronologie est devenue encore plus floue, elle l’était déjà sur le moment. Je me souviens que les jours et les lieux s’enchainaient sans que j’ai besoin de retenir ni d’anticiper. J’avais même du m’excuser auprès de Jeannette, de devoir redemander où on allait, quelle était la prochaine étape. Non pas que je m’en foutais, je me laissais simplement porter par le mouvement de la marche et me rechâlais profondément dans un processus sans destination. Le plaisir de se laisser guider, complètement, sans retenue, de s’abandonner au mouvement. C’est qui reste le plus je pense maintenant. Les journées gardent cette santé, elles savent comment se dérouler, je n’ai qu’à me laisser porter.

Island Peak est en théorie, avec le camp de base de l’Everest, le point fort du voyage. Parce que c’est le plus haut, le plus difficile et le plus inattendu. En pratique, il m’en reste un souvenir noyé aux autres, et ce n’est pas forcément un point saillant. Je me souviens pourtant d’une grande impression de facilité, de justesse dans mes mouvements, de confiance dans mon souffle même court. Je me souviens surtout des murs de glace qu’on a grimpé sur des cordes fixes, le bleu scintillant, les stries horizontales que j’avais presque envie de croquer comme un mille feuille.

Le sommet n’a amené aucune catharsis si ce n’est le soulagement d’être arrivée en haut. Non pas pour moi, pour Jeannette qui était épuisée et en colère de son manque de forme. J’avais envie de commencer la descente avant elle, je sentais qu’elle repoussait le moment, et j’ai vu juste, le retour lui a été pénible et m’a paru interminable. J’ai eu envie à plusieurs reprises de suivre mon élan et de dévaler la pente, mais ai eu peur de la chagriner, elle la guide si expérimentée et pourtant si crevée. Je me souviens de ma connivence avec notre sherpa, on s’est souri beaucoup, la seule communication possible entre nous en dehors de son “don’t worry chicken curry” qu’il répétait à Jeannette quand elle s’inquiétait des rappels à la descente. Je me suis sentie à ma place, capable, et en même temps ai mesuré, comme lors de l’ascension de l’Aconcagua, quel privilège c’est pour l’humain d’être là si haut, dans la glace et le froid.

Cette ascension m’a rappelé également à ma force, au fait qu’il faut savoir s’occuper de soi, quand on a le bout des doigts qui gèlent, le nez qui coule, le dos qui faiblit sous le poids du sac, le crampon qui est parti de travers. Il faut trouver l’énergie et le geste pour ajuster, tout en continuant à monter le jumar sur la corde fixe et trouver une accroche avec le pied. Il faut de la précision, du soin, de la patience. Il faut croire au possible, et s’occuper de soi pour avoir le luxe de s’oublier un peu et de continuer à avancer. Jouer avec le “je”, encore une fois.