Renjo La, 5360m
La. Le col en tibétain. Cet endroit entre la terre et le ciel. La transition. Le point où la vue s’ouvre, où le cœur bat très fort, où l’effort long et dur est récompensé par le cadeau de l’espace.
Immense ici. La démesure. Phunjo me l’a décrit comme « je ne suis pas née ». La nature de l’esprit non née des enseignements bouddhistes prend tout son sens. Un sens non intellectuel, un ressenti qui déborde des catégories perceptuelles et élémentaires, de la pure présence. Pas ma présence, la présence.
Au col, dans cet espace entre, on y accroche un drapeau de prière. Il va diffuser de part et d’autre de ce seuil om mane padme om. Ce mantra qui protège l’esprit de tout rétrécissement.
L’ouvert. L’ouvert est à la fois bleu vif, rouge cœur, jaune généreux, vert actif et blanc. Le blanc est la couleur qui domine. Celle de l’énergie de bouddha, capable de tout accueillir avec amour et équanimité. La vacuité luminosité est juste là. Et le moi se dissout dans un soupir de satisfaction. Celui d’être arrivé enfin à la complétude depuis toujours espérée.
Gokyo, 4750m
Les repas
On prend nos repas dans des lodges, on mange presque toujours la même chose : Dahl bat (riz lentilles patates au curry), pas de viande car elle est amenée sur le dos des porteurs donc on en imagine la qualité … J’arrive à manger, pas de grosses quantités, mais l’appétit qui avait complètement disparu à Katmandou, comme très souvent quand je voyage, est un peu revenu. Les filles parlent beaucoup de bouffe, elles rêvent à ce qu’elles mangeront quand on redescendra vers des altitudes plus clémentes où les légumes poussent. Je m’en moque pas mal, et me sens comme souvent, un peu à l’écart de ces préoccupations.
Gladys
La saga Gladys a pris une ampleur délirante. Elle a du être portée hier dans le col et dans la descente pleine de neige et de glace. Par Jeannette, un porteur resté là, et Sanjip l’apprenti guide qui est en formation avec Phunjo. Ils ont mis 13h, partis de nuit et arrivés de nuit. Elle a le culot de gueuler sur Jeannette en lui disant que c’est de sa faute, trop de cailloux, trop de neige … elle l’insulte même. Pas un merci. Du coup, ce matin Phunjo lui a posé un ultimatum : soit tu es évacuée en helico, soit on te propose un trek a plus basse altitude. Elles sont en train de parler au moment où j’écris. C’est hallucinant, juste par ce qu’elle a payé, elle pense que la montagne doit s’adapter à elle. Et si on lui dit qu’elle n’a pas la capacité et les aptitudes pour cet environnement, elle nous traite de racistes (anti-asiatiques, ses parents viennent de Chine), nous accuse d’âgisme et de discrimination. Jeannette va appeler sa fille aujourd’hui pour lui faire part de la situation. Tout ça nous faire rire parfois mais crée une ambiance assez pourrie lors des repas où elle est là.
Journée de repos aujourd’hui à Gokyo. Le vent est glacial, j’allais faire un tour vers un sommet à 5400m mais je suis dans mon sac de couchage et il est possible que j’y passe une bonne partie de la journée.
Gladys est devenue un verbe : I am going to Gladys it. Je vais faire un bruit pas possible en remuant tout ce qu’il y a dans mon duffel pendant une bonne heure.