Sport et bouddhisme, c'est possible ?

Publié le 5 novembre 2023Coaching

Développer un coaching sportif qui soit imprégné de ma pratique et étude bouddhistes n’a pas été une stratégie consciente. Ca s’est développé avec le temps, dans ma propre approche sportive d’abord — puis, emplie du sentiment de liberté et de possibles que j’y ai personnellement gagné, j’ai plus délibérement élaboré une philosophie de l’accompagnement sportif qui, je le pense, est la toile de fond indispensable à un entrainement vraiment efficace et complet. Car, je l’ai dit souvent, on n’est pas des machines; si les chiffres nous permettent d’évaluer beaucoup de paramètres physiologiques dans le sport, ils sont incapables de prendre en compte la totalité de l’expérience sportive et de faire de nous des athlètes heureux.

Déconstruire le mythe du mental fort

Vous l’avez souvent entendu — “quel mental il/elle a !”— pour saluer la persévérance de quelqu’un dans un effort sportif, surtout lors d’efforts longs type ultras. On entend par là que le corps est meurtri mais que, par la pure force mentale, on arriverait encore à avancer.

Je vais avancer l’argument contraire : c’est justement parce que nous parvenons à ne pas trop écouter notre “mental” qu’on arrive à trouver encore l’espace de nous mouvoir. Dans la philosophie bouddhiste, le “mental” est un espace réduit, fait de nos croyances, habitudes, conditionnements et injonctions qui n’a rien à voir avec celui de la conscience, bien plus vaste et lui facteur de possibles. Ce que je veux dire par là est que quand ça fait mal — ce qui est inévitable dans le sport d’endurance — il ne suffit pas de se dire “je vais de l’avant coute que coute, je me bats, je lutte et continue”. Je suggère même que c’est tout le contraire : arrêter le combat et accueillir l’inconfort, lui dire un grand oui en l’intégrant dans notre espace conscient. Car ce faisant, on ne lutte pas, on ne souhaite plus que les choses soient autres, plus faciles, moins douloureuses, on ne repousse pas l’expérience de la difficulté dans un coin de notre tête en essayant de l’ignorer — tout cela est épuisant et ne peut durer qu’un temps. Incorporer la difficulté du moment à notre expérience, la laisser être présente à notre consciente est la seule façon de pouvoir vraiment faire avec. Et faire avec signifie non pas laisser tomber mais vraiment faire avec : s’orienter vers ce qui est toujours possible dans les circonstances réelles du moment aussi inconfortables soient-elles, faire confiance à notre capacité à vivre tout, et tout simplement croire en nous. C’est ça pour moi la véritable “force mentale” : accueillir ce qui est, s’ouvrir aux difficultés et composer avec elles plutôt que contre elles.

J’écoutais il n’y a pas si longtemps une interview de l’incroyable Courtney Daulwater qui, je pense, ne disait pas autre chose quand elle racontait qu’elle attendait même avec une certaine impatience le moment où la “pain cave” (grotte de la douleur) allait arriver. Elle expliquait qu’à ce moment là, elle s’imaginait comme une spéléologue avec un burin cisaillant la roche et ceci lui permettait d’avancer pas à pas, en grignotant du terrain et agrandissant ainsi son espace de possible.

Redéfinir la discipline

Quand j’étais enfant, on disait parfois de moi que je manquais de discipline; on entendait pas là que je ne tenais pas en place sur mon banc d’école, que je bavardais souvent, et n’obéissais pas toujours bien à ce que le monde des adultes attendait de moi. Pourtant on dit maintenant de moi le contraire — que je suis très disciplinée, rigoureuse, déterminée. Qu’est ce qui a changé ? Ma définition de la discipline a été revisitée et elle ne signifie plus maintenant l’obéissance à certaines règles imposées de l’extérieur, mais la joie de consacrer du temps à des choses qui ont un sens profond pour moi.

Oui, j’entends bien promouvoir une discipline joyeuse dans le sport. Les enseignements bouddhistes nous invitent à nous interroger sur notre motivation derrière nos actions, et à être bien au clair avec ce qu’elle est. Et je vous suggère d’appliquer cette attitude également dans votre pratique sportive : pourquoi faites-vous du sport ? Certes on peut faire du sport parce que le docteur l’a conseillé, parce que les autres le font, pour maigrir, etc… mais pour que notre investissement soit pérenne, il est essentiel d’aimer (un peu) ça ou au moins d’apprendre à apprécier l’activité physique.

Courir, pédaler, nager etc… par amour

Je vous encourage donc à vous poser la simple question de savoir si vous aimez le sport. Si non, alors qu’est-ce qui vous fait peur, vous ennuie, vous repousse ? Souvent la réponse à cette dernière question est l’effort — je n’aime pas avoir mal, je n’aime pas transpirer, je n’aime pas être essouflé.e. A ça je réponds — moi non plus. Pourtant j’adore le sport, je monte sur mon tapis de yoga au quotidien, je cours tous les jours; certains avec plus envie que d’autres mais au bout du compte j’y trouve un grand contentement, ma discipline est bien joyeuse.

Vous pressentez peut être où je veux en venir : c’est avant tout notre rapport à l’effort qu’il est utile d’interroger. Pourquoi aborder la pratique physique comme quelque chose de difficile ? Nous sommes entièrement libres de choisir notre effort, de l’inviter à être doux, de le repousser gentiment vers des marges plus soutenues sans rentrer dans des zones aggressives qui nous laissent fatigué.e, brutalisé.e et sans envie d’y retourner.

Sortons de cette vision du sport comme quelque chose où il faille nécessairement se faire mal. Le “no pain, no gain” est issu d’une vision du monde où tout doit être dur pour être mérité. Pas du tout, l’effort peut être agréable, il est adaptable, progressif, modulable — il peut comprendre des moments de répit et des fluctuations. Je vous incite à faire toujours un peu moins que ce dont vous êtes capables, un peu moins vite sur le fractionné, un peu moins long sur la sortie longue. Premièrement parce que le corps ne fait pas la différence entre ces nuances d’intensité et on ne gagne pas à aller à fond, sauf un bon risque de blessure et de l’épuisement psychologique; deuxièmement parce qu’il est essentiel de toujours garder une marge de possibles; et troisièmement un entrainement bien vécu sur le plan psychologique mène à une meilleure adaptation sur le plan physiologique (le corps et l’esprit sont liés, surprise ?)

Et si on veut se donner à fond alors ? Les courses sont là pour ça, ce sont des moments où nous allons célébrer notre forme, les entrainements passés et voir où nos possibilités du jour nous emmènent. Cessons de faire nos entrainements des mini courses et de chercher à impressionner notre monde. Courons heureux et heureuse, pratiquons une discipline sportive joyeuse.

Se libérer de la comparaison et de l’évaluation

La philosophie bouddhiste avance que nous créons notre propre insatisfaction par notre tendance à nous comparer, à nous évaluer et à chercher constamment une confirmation de notre valeur à l’extérieur de nous. En termes sportifs, on peut être initialement satisfait.e d’un entrainement ou d’une course, mais il suffit qu’on compare nos données à ce qu’on aurati pu faire, ce qu’on a pu faire ou à ce que quelqu’un d’autre à fait, et l’expérience qui nous convenait il y a un instant encore, devient une source de frustration et déception.

Faire du sport c’est aussi accepter l’impermanence de tout et la non-linéarité de notre progression sportive. C’est évident, on le sait, il y a des hauts et des bas. Des fois ça va très bien et d’autres fois pas du tout. Mais plutôt que de voir ça en termes de positif ou négatif, pouvons-nous simplement accueillir ce qui est là à un moment T et se satisfaire de toujours pouvoir faire quelque chose avec ça ? Les personnes qui reviennent de blessure le savent, quel plaisir de simplement mettre un pied devant l’autre, quelle chance de monter sur un vélo.

Apprécions le simple fait de bouger, d’être dans un corps qui répond et dans un coeur qui aime.

N’arriver nulle part

Avoir des objectifs est important quand on fait du sport; c’est une motivation, un horizon vers lequel aller. Mais si on le voit comme une finalité, on s’expose à bien des déceptions et des frustrations. Imaginons qu’on mise tout sur une course : on se prépare, ça prend beaucoup de place dans notre esprit et dans notre vie — on organise tout autour de ça. On commence à s’identifier à notre objectif et à imaginer que si on l’atteint alors on sera enfin arrivé.e quelque part, on aura une certaine valeur, on sera apprécié.e, reconnu.e, etc… Seulement notre valeur humaine ne dépend absolument pas de la façon dont on passe une ligne d’arrivée. Car on arrive nulle part en fait; on est la même personne, ni plus ni moins, et ceci quel que soit le résultat. Si le résultat correspond à nos attentes alors on vit un petit moment de gloire, tout à fait appréciable mais très vite, on repart dans la course en avant, et il faut faire plus ou autre pour continuer à se prouver qu’on vaut quelque chose. Si on est en deça de notre objectif, alors on se juge, on se trouve des excuses, on s’en veut ou on en veut à la météo, notre nutrition, aux autres coureurs….

Peut-on être compétiti.f.ve sans entrer avoir d’objectif ? Ma réponse est oui. On peut faire plein de courses, se donner un horizon (en temps, classement, sensations) qui nous motivera pour voir grand et puiser dans potentiel, et en même temps totalement accueillir ce qui est là, rire un peu de tout ça, et se dire que prendre le départ c’est déjà une réussite. On essaie, on y met notre coeur, on y va et le reste est une expérience, qui comme toutes les expériences est en grande partie au delà de notre contrôle.

Lachons prise du résultat tout en nous investissant complètement dans le processus. N’arriver nulle part pour continuer à aller partout.

Créer du possible

Je cours tous les jours — ce que d’ailleurs je ne conseille pas à mes athlètes, le repos est essentiel. Si je cours tous les jours tout en ayant conscience que le repos est indispensable c’est parce que j’adore expérimenter avec les sensations du moment —celles de fatigue y compris— et les intégrer à mon sport, faire avec. J’ai une idée de la structure de ma semaine, en ce moment par exemple, je fais deux entrainements de VO2max par semaine, une sortie longue, le reste c’est très cool, en zone 1 à 2. Quand je vais courir je me donne un minimum de 3k, et il n’y a pas de règle, si je suis fatiguée alors c’est du footing extra doux, avec quelques pas de marche parfois, si j’ai la peche, alors je fractionne. Bref, je mets mes baskets, passe la porte, cours un peu et vois comment je me sens. Un programme sans programme qui me permet de toujours créer du possible. Et voir son sport comme ça, c’est passionnant, on y apprend la souplesse, la créativité, et on est satisfait.e parce qu’il y a toujours une possibilité.

Cette attitude de faire avec ce qui est, de faire avec les choses telles qu’elles sont —plutôt que comme je voudrais qu’elles soient — est un entrainement. C’est une exploration de notre vie physique et psychique qui pour moi est tout fait inspirée de ma pratique bouddhiste. Celle-ci m’invite à accompagner mes athlètes dans toutes leurs dimensions, à leur faire découvrir des possibles inexplorés, à faire confiance à leurs ressources et à garder toujours une touche d’humour.