Il est tentant quand on parle d’entrainement de fournir immédiatement des données mesurées en temps ou en intensité, “je cours tant de minutes, je médite tant de temps, de telle heure à telle heure, etc…”. Ce ne sont pas les infos que vous allez trouver dans cet article. Parce que la durée de mes entrainements est terriblement fluctuante et que ma routine est quasi inexistante; alors quoi partager avec vous ? Une direction, une orientation pour nos journées, qu’elles soient nourries de nos sensations et se structurent avec une grande flexibilité.
Un mot sur la discipline
Un mot d’abord sur la structure et la discipline. Je pense qu’elles sont essentielles, mais aussi un piège et qu’il est très facile de s’y enfermer. Pour moi, la structure est un moyen et non une fin; la finalité de tout ça est de vivre une vie riche, inspirée et libre. Et c’est là le paradoxe, comment faire de la discipline une voie vers la liberté ? C’est ce que je vais essayer de décrire en dessous, en toute humilité et sans prétention à avoir trouvé la solution, car je reste persuadée que nous tendons vers une zone d’équilibre jamais vraiment atteinte et que heureusement, parce qu’on irait où ensuite ?
Dans le mot “entrainement”, ou training, j’y inclus tout ce qui me permet d’explorer ma vie, le vivant, le possible. Il y a du sport bien sûr, mais j’y ajoute le mouvement de l’esprit et les élans du coeur qui prennent diverses formes, de la méditation à la marche contemplative. Pour être concrète, je vais prendre la journée d’hier, un samedi.
Un samedi comme exemple
Au réveil, je traine un peu au lit. Par trainer je veux dire que je m’étire et je fais des exercices de respiration. Je ne me pose pas trop la question de quels exercices, j’ai une application que j’ai l’habitude d’utiliser et je fais quasi les mêmes exercices tous les jours. Non pas parce que je suis un robot, mais parce que je désire commencer ma journée en me sentant portée et sans stratégie annoncée. Je me lève, le corps un peu endolori, les sensations grossières et sourdes. Je sors le pistolet de massage — cadeau de Jojo pour mes cinquantes ans, je ne m’en lasse pas — je mets la puissance un peu au hasard et l’applique sur les zones tendues : les trapèzes, les fessiers, les cuisses et les ischio-jambiers; et je descends prendre mon petit déjeuner.
La non plus, pas de routine. Je mange ce qu’il y a, Jojo a sorti du bon pain bio aux noix et je le tartine de purée d’amandes. Je bois mon café —sacré—, j’y ai ajouté du collagène et de la chlorella. Je ne sais pas trop si “ça marche” le collagène, mais j’aime bien penser que oui et j’ai l’impression d’avoir les articulations plutôt souples en ce moment malgré toute la course à pied. La chlorella, c’est pour aider mon organisme à fixer le fer, car comme beaucoup de runneuses, j’ai souvent des carences. C’est assez dégueulasse, alors je rajoute une cuillière de miel pour faire passer le goût.
Ensuite je prends une douche froide, sacrée elle aussi. Je suis péri-ménopausée (c’est à dire que “les carottes ne sont pas encore tout à fait cuites” comme dirait ma belle soeur); depuis quelques jours je sens beaucoup beaucoup d’inflammation et j’ai très très chaud. La douche froide donc.
Commencer par ce que j’aime
Je travaille quelques heures à mon ordi, aujourd’hui je choisis de m’installer à mon bureau, c’est plutôt une exception que la règle, je suis en général nomade dans la maison, et travaille dans toutes les pièces, ou dans un café ou dans le van ou dehors sur un rocher. L’avantage d’avoir toujours étudié beaucoup me permet de me concentrer où que je sois. Je commence souvent pas une tâche que j’aime, et prends le contrepied de ce que j’ai entendu toute mon enfance, “commence par le moins passionnant, ce serait fait”. Je réponds à des mails où on me pose des questions qui me passionnent, sur la vie, le yoga et la méditation. Arrivent ensuite des tâches plus ingrates, administratives ou logistiques.
Vivre son run honnêtement
A un moment de la matinée — déjà bien entamée — je décide d’aller courir. Je ne sais pas si j’ai envie, j’y vais sans me poser trop la question. Aujourd’hui est prévue une sortie longue : une quinzaine de kilomètres de trail. Je ne veux pas prendre la voiture, j’ai envie de simplicité et je pars de la maison. J’ai une idée de parcours dans la tête mais j’attends de voir comment je me sens pour décider. Très rapidement je vois que je me sens lourde, les muscles très fatigués après la séance de musculation et la longue sortie en vélo la veille; je n’ai pas encore récupéré. Je ne négocie pas avec moi-même, je suis partie, j’y vais. Ca c’est de la discipline. La souplesse là-dedans, c’est de se dire que je peux toujours avancer en modulant mon effort et en l’adaptant à mon énergie. Jojo part devant, je le suis bien plus lentement. J’ai très vite trop chaud, je fais intervenir mon expérience de la méditation pour me placer dans cet espace juste en arrière de mon expérience, dans une position d’observatrice des sensations, non de victime qui subit. Car celle qui a conscience de la difficulté liée à la fatigue et la chaleur est inconditionnelement présente et équanime. Elle n’est ni la chaleur, ni la fatigue mais un espace de conscience capable de les percevoir sans s’y réduire. C’est une nuance de taille dans la pratique sportive.
Le temps passe, j’apprécie les zones d’ombres et les quelques bourrasques rafraichissantes, je fais des petits pas dans les longues côtes rocailleuses. Je ne parle pas, Jojo le sait, j’ai besoin de silence. Je m’émerveille de ce qui reste possible quand le corps en a marre et aimerait être ailleurs, de préférence au fond du canapé. Je ne nie pas cette envie, je la remets dans un contexte plus vaste, elle devient une pensée passagère parmi d’autres.
Manger
Je bois un shake de lait végétal et protéines au notre retour à la maison, ça c’est presque une routine. J’aime croire que ça va m’aider à récupérer, en théorie, ça se vérifie, en pratique c’est moins clair. Très vite, j’ai encore faim même si j’ai pris un gros gel pendant la sortie. Je fouille dans le frigidaire et me fais une énorme tartine de purée d’anchois. Jojo prépare pourtant à manger — c’est son rayon, mes talents culinaires étant inexistants— mais est habitué à mes grignotages, je mange beaucoup et souvent.
Créer
Après le repas, c’est un moment de lecture, qui est aussi un moment d’étude et de préparation de formations à venir. Je me plonge dans l’Abhidharma ou psychologie bouddhiste, ici dans sa version la plus traditionnelle. Je prends des notes, fais des parallèles avec des pratiques que j’aimerais transmettre, ébauche un programme et une progression. J’utilise freefrom, une application qui me permet de faire des grands tableaux dans les lesquels je crée des parcours fléchés et égrenés de post its virtuels. J’ai plus d’une dizaine de tableaux en cours, certains concernent la pratique de la méditation en ligne, d’autres les modules de yoga, d’autres encore des thématiques précises ou des formations en cours de conception. Tout se recoupe et se recroise, c’est une tapisserie d’expérimentations qui se dessine. Ca me passionne, je passe des heures à étudier de la sorte.
Communiquer
La sieste est inévitable aujourd’hui, elle est longue d’ailleurs, mais je me réveille rafraichie. Je bosse un peu sur mon site internet, fais un peu de comm’ comme on dit sur les réseaux, je réfléchis à ce que je veux dire et pourquoi. J’essaie de garder une image authentique tout en faisant valoir mes compétences. Je sens qu’il faut que j’ose me mettre un peu plus en avant, car ce n’est pas tellement ce que je propose que les gens aiment, mais la façon dont je le fais. Tous les retours que j’ai vont dans ce sens là. Je me sens assez insensible à l’injonction à produire et vendre, je suis assez libérée du modèle où le succès se mesure à la quantité de followers ou d’inscrits en formation. Parfois, la peur de manquer d’argent me rattrape, mais le jeu en vaut la chandelle, il n’y a pas de doute. J’aime créer et partager, et consacrer ma vie à ça l’emporte sur tout le reste.
Méditer
La fin d’après midi est consacrée à la pratique de la méditation, je m’installe au nord de la maison, là où l’herbe est verte et où il fait plus frais. Aujourd’hui, je pratique “la voie de la libération” de Mingyur Rinpoche, ma pratique principale depuis 2 ans. Ca fait partie des “devoirs” que je dois faire pour accéder aux enseignements suivants. J’ai fait 190h sur les 200h de pratique exigées. Le weekend prochain, je suis en retraite solitaire pendant 4 jours, pour boucler ces heures et recevoir via zoom deux autres transmissions depuis Katmandou. Je mélange ma pratique à la contemplation de la nature autour. L’un n’étant pas différent de l’autre, chacun invitant à l’ouverture. Du macro, les nuages de fin de journée stagnant sur la montagne de Lure, au micro, une fourmi se frayant un chemin au milieu des trèfles.
Ma mère passe ensuite, elle revient d’Italie et a des tas de petites histoires à raconter, pleines d’humour et d’observations sur notre humanité partagée au-delà des frontières. Je souris de notre connivence, de la douceur d’avoir sa proximité après avoir été séparées par des océans.
La gear room
Pendant que Jojo prépare le diner, je bidouille dans la “gear room” — salle d’équipement consacrée au yoga, au vélo sur home trainer, à la musculation et dépôt de tout un tas de matériel sportif allant de skis à tente de bivouac. Je n’ai pas vraiment de programme mais je case assez spontanément ce que j’aime voir comme la “base” : des fentes, des squats, des romanian lifts, tout ça avec un gros kettlebell que j’ai du mal à soulever. Peu de répétitions. J’alterne tout ça avec du travail de lombaires car je trouve que c’est bien plus stabilisateur que toutes les séries d’abdos courantes, et du travail d’épaules parce que j’aime bien sentir la force dans le haut du corps. Je finis par quelques étirements, empruntés au yoga et à la mobilité. Pas trop d’ordre là dedans, ça vient comme ça vient et c’est donc parfait pour le moment.
Coacher
Après diner, je bosse à mon ordi. Je réponds à quelques mails, et regarde les plans d’entrainement des personnes que je coache. Je lis leurs commentaires avec beaucoup d’attention, essaie de voir comment ils se sentent et comment je peux les aider au mieux. Parfois c’est très clair, d’autre fois, je dois poser des questions adroites pour évaluer leur forme physique et psychologique si je sens un trop plein, un manque d’envie, une forme d’exigence trop serrée, ou trop d’auto-critique.
Avant de dormir
Quelques étirements avant de me mettre au lit, je garde un tapis de yoga dans la chambre à cet effet, et je me plonge dans ma lecture du soir, un de mes moments préférés. Je lis plusieurs livres à la fois, en ce moment un guide sur le Népal où je vais en novembre, un roman d’Ian McEwan un de mes auteurs préférés et un livre sur le dharma d’Andrew Holecek. Pas de programme là non plus, je vais là où mon coeur m’appelle.
La discipline qui amène la joie
Voilà une journée, pas forcément représentative des autres, car la semaine je passe beaucoup de temps sur zoom pour accompagner en coaching de vie et à Aix pour m’occuper de mon fils et donner des cours de yoga ou accompagner en randonnée ou trail. Ce qu’elle a de commun avec les autres jours est une discipline qui amène la joie : je fais du sport et du mouvement tous les jours, je soigne la vie de mon coeur et de mon esprit tous les jours, je contemple la nature tous les jours; même si rarement dans le même ordre et rarement de la même façon.
Créer sa “chance”
J’entends certains d’entre vous vous dire à la lecture de cet article que j’ai de la chance, que je ne bosse pas beaucoup, que j’ai du temps “pour moi”. C’est vrai et c’est faux. Pour me libérer (partiellement) de la pression à faire et à produire, j’en ai d’abord subi l’absurdité. Des années à très peu dormir, à jongler avec deux voire trois métiers à plein temps. Des journées interminables et toujours insatisfaisantes, “parce qu’il y a encore tellement à faire”. Je travaille toujours beaucoup, Jojo se plaint d’ailleurs que ça ne s’arrête jamais avec moi. La différence est que je vois rarement mes activités quotidiennes comme des obligations; ce sont des champs de connaissances et d’expériences qui ont toujours un intérêt.
Je n’ai pas la recette de la vie parfaite, et n’aspire pas à la trouver d’ailleurs. J’essaie de vivre mon quotidien avec amour, je le trouve dans des choses souvent très simples, le bruit de la pluie qui tombe sur le toit au moment où j’écris ces lignes, le plaisir de choisir des mots qui viennent épouser mon envie de partager avec vous, le sentiment que cette journée-ci, en apparence banale et routinière, contient elle aussi des richesses à explorer pour qui sait les remarquer.