Envies d'itinérance

Publié le 11 avril 2023Nature

C’est devenu un rituel. Quand je suis chez moi en Haute Provence, je commence ma journée dehors, souvent juste à quelques mètres de la porte de la cuisine qui donne sur le jardin. Je m’assois souvent à même le sol, soit sur l’herbe parsemée de fleurs printanières ayant échappées à la tondeuse de Jojo, ou sur la calade en pierre encore froide de la nuit. Au loin, j’aperçois la montagne de Lure et encore au-delà j’imagine les sommets alpins. Mon imagination y voyage, trace des chemins à travers les vallées, par delà les collines, s’arrête au bord de cours d’eau et se repose à l’ombre d’un sapin.

Je ne mettrai pas de dossard cette année. C’est la première fois je crois que je n’ai pas de “course” à mon calendrier. J’ai envie de liberté, de silence et de solitude. J’ai envie d’imprévisible, de débrouillardise et de spontanéité. Je n’ai aucune envie de performance, de temps, de bruit, de cris même de soutien, de cadre aménagé pour une aventure artificielle qui du coup n’a plus rien d’aventureux. Mais j’ai des idées d’itinérance, j’en ai plein.

Simplicité

Je veux partir de la maison avec une logistique la plus simple possible. Sur mes jambes ou sur mon vélo, avec le strict minimum, et aller vers ces chemins déjà tracés par mon imagination. Revenir en train ou par le même moyen, me ravitailler dans les villages, dormir dans les prairies ou les fermes. Me donner du temps, celui de la pause, de la contemplation, du détour et du retour.

Escapades de mai

En mai j’ai imaginé deux escapades. Une m’a été soufflée par mon amie et co-guide Typhaine. Passionnée de longue marche, elle a un oeil sur l’hexatrek, une petite balade de 3032km des Vosges aux Pyrénées. Elle me demande si ça me dit d’aller à la rencontre d’autres passionnés en mai à Die dans la Drôme. Je lui réponds, OK, allons-y en vélo. On partira donc vers le nord, à l’ouest du sommet de Lure, par la Drôme Provençale, en passant au pied du Ventoux. On trouvera des petites routes et des chemins, on passera des cols, peut-être faudra-t-il pousser nos vélos par endroit. Mon esprit l’a déjà investi, je vais regarder ce que ça donne sur une carte; mais ça viendra plus tard, le possible s’imagine d’abord.

Et fin mai, je vais aller vers ces sommets alpins que j’imagine tous les matins. Sur mon vélo, en solo, ou peut être avec Typhaine ou Jojo. Ca m’est égal, pendant les longues journées d’itinérance on parle peu, c’est le silence que j’aime et les paysages qui s’ouvrent col après col. J’ai un peu plus avancé, j’ai fait une trace comme on dit dans le jargon. Elle m’emmènera vers Montdauphin puis le Queyras par la rive gauche de la Durance que je ne connais pas. Après je ne sais pas, prendre le tunnel du Parpaillon, réputé encore enneigé ou glacé à cette époque ou revenir en train; on verra bien.

Aventures estivales

Le reste est un peu plus décidé: le Grand Tour des Ecrins en fastpacking en juin avec Jo, le Jura suisse en gravel en juillet. En Août, on sera en haute vallée de la Clarée comme tous les ans, temps familial qui m’est précieux. On se retrouve au chalet, mon frère Jacques, ma belle-soeur Mar, ma mère, Jo, souvent mon fils Ezraa et son compagnon Alex. L’itinérance se pose mais on gambade dans cette montagne qu’on connait si bien mais qui continue de nous émerveiller, on va manger des glaces en Italie, on se baigne dans les lacs d’altitude, on va dîner au refuge et on redescend de nuit en chantant.

Peut-être un livre…

J’ai commencé un projet de livre sur l’itinérance l’hiver dernier. Le principe est simple: à vélo ou à pied, aller à la rencontre des vieilles personnes assises devant leur maison ou sur les places des petits villages, leur poser des questions sur leur vie, et leur demander quel conseil il.elles donneraient à la nouvelle génération. Les prendre en photo. Et faire ainsi le portrait d’une France vécue dans la lenteur de l’itinérance à pied ou à vélo. Ce projet m’amuse comme processus, peut-être ne verra-t-il jamais le jour. Comme l’effort sportif, je me moque de l’aboutissement, la valeur est dans le chemin.

S’entrainer pour l’itinérance

Je m’entraine, car je n’ai pas de talents sportifs particuliers. “Je m’entraine”, le mot est trompeur, impliquant un objectif que je n’ai pas - c’est plutôt une interrogation quotidienne sur mon envie de mouvement, lequel, avec quelle intensité. Et je suis mon intuition. Il y a des jours « sportifs » comme hier, une série de 15 min de côte raide et de descente rapide pour habituer mes quads aux contractions excentriques qui se feront inévitablement sentir pendant le Grand Tour des Ecrins. Il y des jours où je monte sur mon vélo et ne sais pas vraiment ce qui va se passer: juste une balade, ou du fractionné. Je laisse venir, mon corps de vieille athlète ne veut plus obéir aux injonctions de temps et de distance. Il s’en fout, il répond à l’envie, la passion, la nature et l’effort juste.

J’ai bien toujours la même coach, car comme tous les coachs, je suis coachée. C’est un dialogue qui reste pour moi important : savoir décrire mes sensations, échanger sur mes doutes, sur le sport après 50 ans. Megan Roche est à mes côtés depuis maintenant 7 ans, une chance, j’ai vu la SWAP team grandir et devenir une des plus prestigieuses équipes de trail au monde. Elle est connue pour ses élites qui raflent tous les podiums. Et il y a quelques personnes comme moi, qui avec le temps font figure de vieux sages, preuves qu’on peut avoir une longévité dans le sport et que David et Megan soutiennent aussi les anciens. Les méthodes de coaching sont les mêmes pour tout le monde, et sont suffisamment souples pour inviter le tatonnement et l’adaptation individuelle. Je prends beaucoup de largeur mais respecte les principes de base de SWAP qui sont d’ailleurs les mêmes que ceux de mon propre coaching. Je fonctionne à la perception de l’effort car je sais que l’entrainement est très rarement linéaire et que les chiffres ne sont que des indicateurs. Des strides pour la vitesse et l’adaptation neuro-mécanique, du tempo pour la navette lactique, et un petit peu de vélocité à VO2max.

Avec les années, j’ai appris que le « mental » n’est pas de foncer comme un bourrin en ignorant les cris du corps mais au contraire de faire preuve de grande finesse d’écoute du corps: se mettre dans le rouge ne marche que très rarement et jamais sur le long terme. J’ai donc toujours du plaisir à aller “m’entrainer”, j’ai une base mais me laisse la marge de l’interpréter en fonction de mes sensations. Le sport vécu comme cela est un mouvement de découverte, un jeu créatif et pro-actif. Jamais quelque chose qu’on subit en vue d’un objectif qui ne pourra de toute façon jamais refléter notre valeur humaine.

L’itinérance comme philosophie

Je crois que l’itinérance est un mode de perception, une façon d’être et de voir. Une invitation à ne rien figer, à laisser le mouvement du monde nous habiter et notre esprit dessiner des chemins à l’horizon du possible.