Je suis compétitive. Je l’ai toujours été. Ce n’est pas forcément un problème. C’est du possible implicite (« si lui / elle y arrive alors pourquoi pas moi ? »). C’est une force dynamique qui m’a poussé de l’avant, permis d’accomplir beaucoup et de réussir souvent dans le sens conventionnel du terme.
Le mirage de la perfection
Mais être compétitive est aussi épuisant. Une course vers l’avant jamais satisfaite, qui laisse croire au mirage d’une perfection, jamais atteinte, toujours déçue. Les années passant, j’ai beaucoup réfléchi à mon rapport à la compétition, m’en suis par moment beaucoup éloignée et ai préféré souvent mes aventures solitaires.
En janvier j’ai décidé de refaire quelques courses, des petites distances qui m’amusent et dont on se remet vite. Je me suis donnée pour mission d’être juste. Juste avec moi même, avec mon effort et mes attentes, et de lâcher autant que possible les comparaisons. J’ai envisagé un pur paradoxe : la compétition douce.
J’ai décidé de faire de ces trois courses une expérimentation : ne pas me soucier de ma place dans le sas de départ, partir doucement voire carrément lentement, garder à l’esprit l’effort juste, revenir sans cesse aux sensations du corps, ralentir pour contacter la douceur et faire de ma course un voyage de tempérance.
Je ne peux pas dire que c’était facile. A la première course, je trépignais d’impatience au départ, ai emboité le pas à une torpille locale me disant que je pouvais bien la suivre, ai ignoré les cris de mes quadriceps en montée, me suis sans arrêt jugée, me suis précipitée sur les résultats à l’arrivée et ai été bien entendu déçue. Je ne me suis pas amusée, j’ai souffert, me suis trouvée vieille et moins rapide, et suis passée à côté de moi même.
Bref, c’était assez raté pour ce coup là, mais l’expérience a renforcé mon intuition que je ne pourrai apprécier les courses suivantes qu’avec une attitude moins compétitive, ou plus doucement compétitive.
La compétition douce : premier essai
Deux semaines plus tard, au snow trail de Serre Chevalier, j’ai vraiment pu expérimenter mon gentle racing.
C’était certainement facilité par l’environnement, la montagne que j’aime tant, et le fait que je ne connaissais personne. Beaucoup plus facile de laisser tomber l’envie de me comparer. Je suis partie au fond du SAS, j’ai écouté mon souffle, plus rapide avec l’altitude ; j’ai donc ralenti en montée, ai marché dans certaines pentes raides, ai regardé les paysages, ai perdu 5 bonnes minutes pour remettre une des chaines anti-glisse qui avait sauté et ça sans m’énerver du tout, j’ai dévalé les pentes enneigées comme une gamine et ai passé la ligne d’arrivée avec un immense sourire.
Je suis allée au ravito, ai regardé les arrivées avec bonheur pendant trois bons quarts d’heure, ai papoté avec quelques coureurs et me suis seulement ensuite rendue compte que j’étais au pied du podium. Ma plus belle médaille en chocolat jamais eue.
Une semaine après le snow trail, j’étais sur le départ des 11 kms de la Galinette, une petite course locale avec quand même un terrain technique et un bon dénivelé. Encore chargée de la bonne expérience de la semaine passée, je suis partie confiante que le gentle racing était vraiment la clé si je voulais faire de la compétition durablement. Et surtout si je voulais que la compétition soit une voie d’écoute de soi et d’ouverture, plutôt qu’une poursuite égoïste, brutale et inévitablement insatisfaisante.
Deuxième essai
Les choses étaient plus dures tout de même à la Galinette. Je connaissais beaucoup de coureurs, savais ce que je pouvais faire par rapport à untel ou untel. Chris était là aussi et j’ai toujours tendance à vouloir (me ?, lui ?) montrer que je peux courir plus vite que lui. Ce n’est pas très glorieux tout ça, mais souvent assez vrai. J’ai reconnu cette tendance à m’évaluer par rapport aux autres ; j’ai entendu la voix de la comparaison à plusieurs reprises (« oh mais untel qui est toujours sur le podium est juste là un peu plus haut dans la pente, allez Elise force donc, tu peux la rattraper ! ») mais je ne l’ai pas écoutée. Petite victoire sur ma compétitivité avec de grands effets.
Je suis partie dans mon rythme, avec aisance, j’ai encouragé plein de gens, ai parlé avec d’autres, n’ai pas systématiquement doublé à fond dans les descentes en prenant des risques débiles (autre tendance habituelle tenace), ai même pris le temps de pousser dans une pente raide la goélette de l’association qui accompagne des handicapés sur les trails. J’ai accepté sans rancoeur de ne plus avoir de jambes sur des deux derniers kilomètres, j’ai alors encouragé les deux filles qui m’ont doublée (et coûté ma place sur le podium) dans les 500 derniers mètres. J’ai été leur parler à l’arrivée, et me suis étonnée d’être authentiquement heureuse pour elles. L’expérience globale l’a complètement emportée sur le classement.
Courir heureuse
Je suis contente de m’être inventé le gentle racing, si j’étais plus jeune et si j’avais plus de goût pour ces trucs là, je pourrai même lancer une nouvelle tendance : #gentleracing. J’aspire à inspirer les autres femmes (et hommes) à vivre leur passion sportive avec justesse, à voir avec bienveillance toutes les façons dont on est agressif envers soi même et apprendre à se respecter avec dignité et sans complaisance.
Franchement, on court bien mieux heureux.