Courir comme on médite

Publié le 30 avril 2019Méditation

J’ai parcouru des kilomètres depuis le mois de février — sur des sentiers rocailleux, dans la neige et la glace, sur les routes de campagne, au fond des vallées et sur quelques sommets. Très souvent seule avec mon esprit et mon corps pour seuls compagnons. Des heures méditatives et silencieuses, des heures pénibles et douloureuses, des heures dans le flux de la vie.

Sentier nu au milieu du paysage sous un ciel menaçant

Je ne fais pas de la course à pied un objet conscient de méditation, c’est plutôt les longues heures passées sur le coussin, les années de pratique qui se déversent naturellement dans le restant de ma vie. Quand je cours j’explore aussi mon environnement intime, les sensations de mon corps, les reliefs de mon esprit, pas comme un projet, mais comme la continuation naturelle du mouvement de mon corps.

Retraite de méditation et course à pied

Dechen Choling Le mois dernier, en avril, j’ai enseigné une retraite de méditation et course à pied à Dechen Choling, mon centre bouddhiste situé dans le Limousin. Je suis arrivée avec quelques idées que j’ai laissé flotter pour qu’elles puissent épouser les énergies du lieu et des participants et créer une cartographie éphémère de notre territoire collectif. J’ai été encore émerveillée par la façon dont, une fois les doutes traversés, on peut chacun aller puiser dans une confiance inconditionnelle, trouver en soi une manière d’être et de courir fluide, douce et enthousiaste.

Ce furent des moments précieux dans un lieu qui m’est cher pour sa capacité à faire émerger le meilleur de chacun. Notre groupe était varié, du débutant au marathonien, mais à aucun moment l’obstacle de la comparaison et de la performance ne s’est fait ressentir. Une grande authenticité, une merveilleuse bienveillance, beaucoup de rires et un bain d’humanité qui nous fait aimer notre vie.

Partout où je vais, je cours

Ces derniers mois la course à pied s’est d’ailleurs s’est encore plus inscrite dans les courbes de mon quotidien comme un voyage en terrain connu ou en terre à défricher. Partout où je vais, si mon corps le permet, je cours. J’explore les espaces et les impasses, la campagne verdoyante et les parkings de centre commerciaux. Si je cours avec curiosité et si pour un moment je suspends mes jugements, je trouve alors notre monde tout simplement fascinant.

J’ai traversé de très beaux espaces au Canada en février. Le lac Ontario était en partie gelé, les trottoirs glissants et les sentiers ensevelis sous la neige. J’avais oublié ma montre GPS à la maison, et après une minute d’agacement, j’ai compris que c’était une fantastique opportunité de juste courir, sans évaluation, sans confirmation ni projet chiffré.

Toronto au fond, lac gelé en premier plan

Courir et méditer

Courir et méditer se rejoignent ainsi. Ce sont des façons d’être avec soi, de se faire confiance sans avoir besoin de valider notre expérience par quelque chose d’extérieur à nous. Je cours donc maintenant juste avec une montre chrono toute simple la semaine, je garde le GPS pour les sorties longues du weekend que Coach Megan me propose en miles.

Courir lentement la plupart du temps — je sais depuis longtemps à quel point c’est important, clé même pour construire une base solide et paradoxalement développer sa vitesse. Et qui de mieux que moi sait ce que veut dire « effort facile » ? Pourquoi confier l’évaluation de mes sensations à un appareil alors que je pourrais me faire le cadeau de la confiance en mon ressenti ? N’est-ce pas là le guide ultime du coureur de longue distance ? Être avec soi même, s’écouter sans complaisance, s’offrir de la bienveillance, de la force et de l’estime.

Cela ne veut pas dire que je suis toujours lente, loin de là. Je cours bien plus vite pendant les efforts tempos, les fractionnés ou les courses. Mais là aussi je m’efforce à ne pas aller le plus vite possible, mais à trouver cette limite entre l’effort soutenu, voire très soutenu et l’effort agressif. Notre culture est si imprégnée de l’idée que no pain, no gain : il faut souffrir pour au bout espérer un bénéfice quelconque — qu’on oublie de vivre les moments entre, les moments avant et qu’on mise tout sur une ligne d’arrivée, métaphorique ou littérale.

Or, on sait qu’une fois la ligne d’arrivée traversée, notre monde ne va pas changer, qu’on ne sera pas plus à l’abri de la souffrance et des doutes, qu’on ne sera pas plus aimé ou admiré. En anglais on appelle cette illusion arrival fallacy. Coach David nous rappelle souvent que la ligne d’arrivée ultime est la mort. Et c’est aussi une contemplation bouddhiste courante. L’idée est ici d’aspirer à accueillir l’intégralité de notre expérience, de ne pas mettre notre vie en stand by en attendant que le moment magique change tout. Notre vie, chacune de nos sorties course à pied est une invitation à apprécier la magie de l’ordinaire, à être dans le coeur du présent qu’il soit fantastique, ennuyeux ou même douloureux.

L’effort sportif comme une voie de connaissance de soi

J’aspire à cultiver cette attitude au sein même de la performance. En mars j’ai établi le FKT (fastest known time) sur la traversée de la montagne Sainte Victoire qui est mon terrain de jeu quasi quotidien. Ce n’est pas vraiment la performance en tant que telle qui était un défi puisque cela n’avait auparavant jamais été officiellement enregistré comme FKT et que c’est en aucun doute facile à battre.

L’idée était de sillonner ce terrain extrêmement difficile à courir (des rochers, des falaises, des pierres acérées, de la boue) en allant vite et en étant curieuse de chaque instant. Je me suis vue me juger (« tu traines, bouge ! »), m’irriter (« quelle merde ces cailloux ! »), m’extasier (« cette vue de malaaade ! »), m’encourager (« you are rocking this ! »), m’apprécier (« franchement, tu descends bien! »). Je me suis vue vivre sans faire le tri de l’acceptable, du recevable, du concevable. Faire de la course à pied et de l’effort sportif, même difficile, une voie de la connaissance de soi.

Sommet de la Sainte Victoire

Jouer en courant

Elise avec capuche au sommet d'une haute montagneEt surtout, surtout, ne pas prendre tout cela trop au sérieux. Les enfants courent pour jouer ou jouent en courant. Nous avons, la plupart d’entre nous, oublié cette possibilité et faisons de la course à pied une tâche à accomplir pour être plus mince, plus rapide, plus comme si ou comme ça. Et si nous aussi, on ré-apprenait à faire l’avion dans les descentes, à piquer des sprints sans raison, à sauter de rocher en rocher, à gambader en chantonnant?

Peut être qu’une façon simple de résumer tout cela est que j’aspire tout simplement à jouer, partout, même haut, très haut.