La tyrannie du bonheur

Publié le 18 avril 2023Méditation

Le titre est provocateur. Comment le bonheur peut-il être tyrannique ?

Quand il est conçu comme une injonction, comme l’appanage d’une vie réussie. Je crois que je suis heureuse justement depuis que je ne cherche plus à l’être. En me relâchant dans le coeur du présent, je trouve ce que je pensais être toujours plus loin, devant, dans un futur incertain.

C’est d’ailleurs ironique, en arrêtant de chercher le bonheur on s’aperçoit qu’il était toujours là. Parce que c’est bien plus une façon de regarder le monde, qu’un état quantifiable par nos accomplissements et nos possessions.

La promesse du bonheur

Comme grand nombre d’entre nous, j’ai longtemps cherché à être heureuse en me plongeant tête baissée dans tout ce qui promettait le bonheur: un corps et un esprit plus sains, une carrière toujours plus brillante, des rapports sociaux toujours plus nombreux, etc… Et dans le « plus de », j’ai oublié de me laisser vivre telle quelle dans mes expériences du présent.

Quand on y pense, c’est presque drôle la façon dont on peut s’épuiser à essayer d’être heureu.x. ses. On fait tout une liste des choses indispensables à accomplir pour atteindre ce bonheur: si je médite 10 min par jour, si je fais ma pratique de yoga, de pranayama, de tapping, de shaking, de relaxing, de footing, de slow cooking … alors inévitablement je serai enfin heureuse. Qui ne se reconnait pas un peu là dedans ? Soit on trouve l’énergie pour faire tout ça et on s’aperçoit que et bien non finalement, ça ne va pas vraiment mieux - ou on se dit que pfffff, c’est impossible de faire tout ça et que bon ben c’est mort, je dois subir ma vie tout en me sentant coupable de ne pas faire plus pour être heureu.x.ses.

Lié à ça est la tyrannie de l’amélioration promise par les méthodes de self-help et les gourous du bien être qui nous poussent à devenir les « meilleurs de nous-même », d’aller toujours « de l’avant », de « progresser ». Rien que d’écrire tout ça, je me sens nase et découragée. E-pui-sant !

Matérialisme spirituel

Bon, je ne vous apprends rien en disant que cette vision du bonheur est matérialiste, qu’elle nourrit un système capitaliste qui profite de notre crédulité et de nos doutes sur notre valeur humaine intrinsèque.

Est-ce que vous vous reconnaissez un peu là-dedans ?

Si je fais du yoga alors ça ira bien mieux dans ma vie, ah oui mais pour aller à mon cours de yoga, il me faudrait quand même une nouvelle brassière. Maintenant que j’ai la brassière, je me dis que mon gras du bide est vraiment trop voyant, je serai bien plus heureuse sans. Je vais donc faire le régime truc-machin et là c’est sûr que je serai heureuse. Ah mais pour faire le régime, je dois acheter l’extracteur de jus de goyave truc-machin, parce que bon c’est important que j’investisse dans mon bien être. Et puis je vais aussi prendre un abonnement à la salle de gym parce que le régime sans sport, ça ne va pas marcher. Du coup, en me voyant dans les miroirs de la salle de muscu, je me dis que franchement, j’ai l’air fatiguée, c’est sûr que je serai bien plus heureuse avec quelques petites injections anti-rides, tout le monde le fait, ça doit vraiment jouer sur le bonheur. Pendant que j’y suis je vais me mettre à la méditation, il parait que ça rend plus cool, du coup je vais caser ça le matin de 6h à 6h20 avant de faire mes pompes pour ventre plat. Bon, je déteste passer du temps avec moi-même alors je vais faire une méditation guidée avec de la musique, il y a des spécialistes qui peuvent nous apprendre à être heureux sur internet, c’est hyper pratique. Après les pompes, il ne faudra pas que j’oublie d’être souriante pour ma famille, et de bien rappeler à tout le monde son rôle pour que le bonheur soit familial: le mari au boulot pour notre bonheur financier, ensuite au triathlon pour se dépasser (il y a du bonheur de l’autre côté parait-il), les enfants à l’école pour apprendre et être heureux plus tard, et moi à toutes les tâches pro, perso, sportives, familiales, absolument nécessaires au bonheur planétaire.

Moi aussi j’y ai cru

Bon comme vous, peut-être — je ne présume pas de votre crédulité, j’ai essayé tout ça. Et, oh révélation, ça n’a pas marché. J’ai « fait » du yoga comme une tarée pour être “mieux” et je me suis coincée les cervicales, l’épaule droite, et la hanche gauche — j’ai « fait » de la méditation et me suis foutue des maux de tête pas possible en essayant de chopper mes pensées au vol comme au ball-trap, j’ai « fait »des pompes ventre-plat, des footings mange-graisses, de la muscu-anti-gras-du-bide et même une fois des injections d’acide machin-truc. Et vous savez quoi ? Et bien le bonheur est resté devant, dans l’après, un mirage d’aboutissement.

« Faire » ?

Pourquoi « fait » avec des guillemets ? Parce que quand même j’ai fini par comprendre que tout ça n’avait aucun lien avec le bonheur tant que c’était du “faire”. On me l’a soufflée cette idée, beaucoup, longtemps, avec grande régularité — on pourrait même dire qu’on me l’a hurlé à l’oreille depuis 20 ans. J’ai mis du temps à entendre le coeur des enseignements bouddhistes et yogiques: nous sommes ce que nous cherchons. Pour se trouver, il y a des techniques, mais elles ne sont jamais la finalité, elles sont juste les moyens qui nous permettent d’entrer en contact avec notre bonté fondamentale, notre nature de bouddha, notre espace infini, notre conscience pure, le bonheur…, appelez-ça comme vous voulez. Et c’est bien en faisant moins, qu’on se détend enfin dans ce qui était déjà tout le temps là. Encore une ironie ici, c’est incroyable qu’on ait besoin de autant passer à côté de soi pour enfin se voir.

Bon, là je vais peut être en fâcher ou décevoir certain.e.s: on s’en fout de la posture de yoga, la posture est une coquille vide, si elle n’est pas habitée par « l`être ». On s’en fout de la méditation si elle n’est pas un espace de repos de l’esprit en soi, un espace d’ouverture de la conscience sur elle-même. Et pour les rides, etc…. on a mis des années à les avoir, c’est quand même con de s’en débarasser, non ? Plus sérieusement, en se réduisant à son corps, on se réduit…. beaucoup beaucoup. Et on ferme la porte à l’espace, et donc bonheur.

Alléger le moi

Ah je vous ai peut être perdu.e.s. Le rapport entre espace, conscience, bonheur, être, etc… ? Pour faire simple — et dans les limites de mon humble compréhension — voici ce que j’ai saisi des enseignements bouddhistes et yogiques: plus le sentiment du moi est allégé, plus on est heureux. Plus on croit à sa propre identité, plus on se contracte sur ce qu’on croit être “moi”, plus on est territorial.e , arrogant.e ou plein de doute, agressif.ve ou attaché.e, plus on a quelque chose à défendre. Quand ce territoire est ouvert alors le « moi » peut être traversé de mouvements, de tours et détours, de pensées et d’émotions, de formes et de dissolutions sans jamais se réduire à l’une d’entre elles.

Un possible toujours en devenir

Ma tentative de résumer des années de pratique à un paragraphe a certainement échoué. Mais je ne cesserai jamais d’essayer de transmettre ça, le bonheur qui vient de la possibilité du « non-moi ». L’apaisement qui vient dans et de l’être, non pas comme entité possédant une essence intrinsèque, mais comme un possible toujours en devenir. Ca c’est le bonheur.