Silence. La difficulté à y accéder ou à s’y laisser être. Son poids, son bruit. La peur qu’il génère, le vide auquel on l’associe.
Je me souviens de ma première retraite de méditation un peu longue. Je crois que c’était à la fin de l’année 2008. J’étais partie à Dechen Choling, un lieu que j’ai revisité maintes fois depuis et qui est devenu une deuxième maison pour moi et ma famille. Je savais que j’allais y faire quelque chose de spécial: m’asseoir sur un coussin sans rien faire et vivre en silence pendant quelques jours. C’était encore à l’époque où mon désir de savoir était bruyant, il devait se dire et s’exprimer par de longs bavardages et beaucoup beaucoup de questions. Là il a du se taire et ce n’était pas si facile.
Première rencontre avec le silence
Le silence extérieur invite le silence intérieur. En théorie. En pratique, ne pas parler nous fait entendre tout notre bavardage intérieur, nos commentaires incessants sur nos expériences, nos jugements, nos évaluations sur tout. Et ce silence est assourdissant. Lors de cette première retraite, je me souviens des histoires qui tournaient en boucle dans ma tête - dont une particulièrement tenace et très surprenante: “machine m’énerve, c’est une princesse, elle en fait pas attention aux autres, elle ne pense qu’à elle, elle est comme ci, comme ça, ça m’énerve, etc …”. La personne en question n’était même pas présente, ni quelqu’un que je fréquentais régulièrement, pourtant elle a occupé mon esprit jour après jour. Celui-ci n’avait rien d’autre à faire et se cherchait desespérement des sujets de distractions, il avait peur du vide, peur d’être de lui-même, mieux vaut juger les autres semblait-il se dire. C’était épuisant, et d’ailleurs ça s’est épuisé à un moment. Derrière tout ce bavardage, la possibilité d’une grande paix a émergé pour la première fois concrètement dans mon expérience. J’en avais entendu parler bien sûr - le repos de l’esprit - c’est même certainement pour cela que j’étais là. Mais j’en faisais l’expérience - certes timide - pour la première fois.
Ça a tout changé
Ça a tout changé. Mon rapport au temps d’abord : il n’est plus à remplir d’une liste infinie d’anticipations pour “prendre de l’avance” sur les tâches infinies à accomplir dans l’espoir de pouvoir enfin après se reposer. La vie devient disponible, et dans le silence de la méditation, l’instant présent s’ouvre, la vie est là. Mon rapport à moi : je n’ai plus peur de moi-même, mon expérience intime m’intéresse, mes émotions sont sources de curiosité, mes bavardages sont un bruit de fond ajustable. Mon rapport au corps ensuite: lui aussi peut se relâcher dans le silence, qui n’est pas une immobilité mais le mouvement de la vie, un mouvement sans effort, qui me porte et me soutient. Mon rapport aux autres enfin: je me moque qu’on sache que je sais, je me moque de ne pas avoir d’opinions, je ne me réduis plus à ma parole. Je sais aussi être dans le silence de l’autre, avec l’autre - je sais le laisser parler pour entrer dans une connection non verbale et plus intime, plus humaine, plus profonde.
Le silence est un vide plein
C’est pour cela que je médite, non pas comme pour me faire du bien, mais pour apprendre à me laisser être dans le silence qui contient tout.