Chronique d'une aventure himalayenne 6

Publié le 5 janvier 2025Nature

Namche Bazaar, 3440m

Rencontre

Des vies se laissent entrevoir au milieu des hordes de trekkeurs venus du monde entier en route pour le EBC (Everest Base Camp).

Pemba — qui veut dire samedi, les népalais donnent souvent le jour de naissance comme nom à leurs enfants — tient la Khumbu Lodge. Il est séduisant, distingué et parle très bien anglais. Très ami avec Jeannette et Phunjo, il nous loge dans la suite réservée à la star népalaise de l’alpinisme Nimsdai, connu maintenant mondialement depuis le documentaire de Netflix narrant ses exploits. J’apprends par Jeannette que Pemba a perdu sa femme, morte à 28 ans pendant une opération ratée en pleine pandémie. Sa souffrance se perçoit, il y a quelque chose de sombre chez lui qui le rend touchant à mes yeux, et je ressens pour lui une forme de tendresse humaine. Il vient s’asseoir à notre table à plusieurs reprises. Je lui pose des questions, curieuse de savoir ce que c’est de vivre ici, dans ce village perché à 3500m, accessible uniquement à pied, la première route à des centaines de km d’ici. Il est né ici, ses parents ont fondé la première lodge. Il y a une école, juste le primaire, ensuite il lui a fallu marcher 1h pour aller à l’équivalent du collège, même chose en fin de journée, l’hiver parfois avec de la neige jusqu’au genou. C’est toujours la même chose aujourd’hui pour les enfants du village. Il est impliqué dans le développement de la vallée, il explique qu’un groupe s’est constitué pour amener plus d’électricité et réduire les déchets. Tout est compliqué, il y a beaucoup de règles imposées par l’état et rien peut se faire sans corruption.

On parle le tibétain ici, mélangé avec le népalais et saupoudré de quelques mots d’anglais qui sont rentrés dans la langue. Les gens parlent très vite et rient beaucoup.

Femmes

Ce matin, en redescendant du plateau au dessus du village par un sentier abrupt aux marches inégales, j’ai croisé une bonne vingtaine de femmes de tout âge. Elles remontaient du marché - qui fut autrefois le point de ralliement de toute la vallée d’où le nom ‘bazaar’ - avec d’énormes chargements sur le dos, le tout tenu par une sangle appuyée sur le front comme les porteurs. Là où les trekkeurs se tordent les pieds dans leurs chaussures ultra techniques, elles posaient d’un pas sûr leurs claquettes en plastique, les semelles usées et déformées par le poids. Je ne sais pas où elles allaient, au dessus je n’ai vu aucune habitation à part une maison de berger et deux lodges dont le célèbre Everest Hôtel.

Vue

Nous sommes allées jusqu’au Everest Base Hotel comme marche d’acclimatation, la vue était en effet spectaculaire. L’Everest sur la gauche puis le Lotse et le Nupse. Plus à droite l’Ama Dablam. Je ne sais pas d’où vient mon attirance pour cette montagne. Le nom m’a séduit bien avant d’en voir vu les images. Ama Dablam, mother necklace. Quelque chose de maternel dans les consonances, l’évocation d’une déesse mais aussi d’un mystère. Sa forme est parfaite, comme on pourrait le dire du Cervin qui a fini sur les tablettes de Toblerone.

J’étais seule quand je l’ai aperçue pour la première fois, je suis arrivée sur un plateau brun, et à la hauteur d’une stupa où Jeannette m’avait demandé d’attendre, j’ai vu surgir ce mur de lumière à l’horizon. J’ai été émue. Touchée. Traversée. L’Ama Dablam. En vrai, matérialisée sous mes yeux.

J’ai parlé à Phunjo de mon envie de connaître cette montagne. Elle m’a proposé de la grimper ensemble comme climbing partners plus que comme guide et client. J’ai été immensément touchée de cette proposition. Et ce qui avait commencé comme une blague - on va faire l’Ama Dablam - a pris la teneur d’une possibilité. Un horizon qui n’a pas encore de ligne mais vers lequel un élan se déploie, un cœur bat.