Depuis quelques temps je m’intéresse à ce qu’en anglais les physiologues du sport appellent le low energy availibility ou LEA. On pourrait le traduire par « déficit d’énergie disponible ».
Concrètement ça se traduit par une sensation de fatigue générale, du mal à récupérer après une activité physique, des sautes d’humeur, un sentiment d’irritation avec les simples tâches du quotidien qui semblent épuisantes, des douleurs articulaires ou osseuses voire des blessures, un dérèglement hormonal (qui peut aller jusqu’à l’aménorrhée —absence de règle— ou une ménopause précose), une immunité affaiblie, un sommeil peu réparateur.
Bref, on se sent à plat, alors qu’on fait tout pour être en forme : on mange globalement sainement (des légumes, des fruits, et une variété de protéines, on a peut être même intégré le jeune intermittant), on surveille son apport en sucres et son apport calorique, on fait du sport très régulièrement, on pratique le yoga et on reçoit des messages destressants. On devrait être bien, pourtant on est nase, presque tout le temps, jamais satisfait.e de nos performances intellectuelles comme physiques, on se sent vie.ux.eille et peu motivé.e.
Des chiffres alarmants
Il y a quelques jours je suis tombée sur un article du Dr Stacy Sims que j’apprécie toujours pour son regard moderne et tranchant sur ces questions de société et de santé de la sportive. Dans cet article, elle rend compte des dernières études sur le LEA. Voici les chiffres ahurissants dont elle fait part:
- Presque 80% des skieuses de fond sont à risque de LEA d’après cette étude.
- 88% des footballeuses professionnelles sont diagnostiquées comme souffrant de LEA dans cette autre étude.
- 96% des danseuses classiques ont LEA d’après cette étude.
- 100% (!) des nageuses en natation synchronisée ont un déficit de l’énergie disponible nous montre cette étude.
Si on regarde du côté des sports d’endurance, cette étude de 2022 publiée dans Frontiers in Sport and Active Living faite sur 200 athlètes féminines montre que 65% présentent un risque de LEA, 23% présentent un risque d’addiction grave au sport et 21% souffrent d’un trouble du comportement alimentaire.
Dr Sims —ex athlète de haut niveau, specialiste mondiale de la physiologie de l’athlète féminine— le répète : le déficit d’énergie disponible ou LEA est un problème qu’elle rencontre tous les jours dans ses consultations ; s’il n’est pas identifié à temps, il peut sévèrement nuire à la santé des femmes avec l’apparition précose de maladies telles que l’ostéoporose.
Mode « économie d’énergie »
Bref, ça fait peur et du coup je pense que ça vaut vraiment la peine de comprendre le mécanisme derrière LEA. LEA ou le déficit d’énergie disponible est défini comme le fait d’avoir une énergie disponible insuffisante pour soutenir les fonctions physiologiques de base une fois qu’on y a enlevé les dépenses énergétiques liées au sport. En d’autres termes, les personnes souffrant de LEA ne mangent pas assez pour compenser les dépenses énergétiques liées au sport et leurs besoins biologiques de base. Le corps ne peut pas fournir l’énergie nécessaire aux deux. Donc il rationne, et contrairement à ce qu’on pourrait penser, ce n’est pas forcément du côté de l’effort sportif qu’il va aller faire des économies d’énergie.
Ce qui rend LEA particulièrement compliqué c’est que ce déficit en énergie disponible permet à l’athlète de courir, de nager, de faire du vélo, soulever des poids et de faire ses séances (au moins pendant un temps) ; mais le corps n’a plus assez de calories pour que les organes puissent fonctionner de façon optimale.
Quand on entre dans un état de LEA, c’est un peu comme si on allait en mode « économie d’énergie ». C’est d’ailleurs comme ceci que Dr Katie Schofield, autre chercheuse dans ce domaine, décrit le processus : notre téléphone passe en mode « économie » quand la batterie est faible, il marche encore mais l’écran s’assombrit, et certaines applications se ferment pour conserver de l’énergie. Dans le cas de notre corps, ces applications sont nos organes, comme notre système reproductif et endocrinien !
Les conséquences
Et voici les conséquences d’un manque d’apport calorique sur le long terme; vous êtes prêt.e? C’est pas rigolo.
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Une des conséquences premières de LEA est sur le système reproductif des femmes. Avec un déficit d’énergie disponible, la production de l’hormone lutéinisante baisse, et celle ci joue un rôle déterminant dans l’ovulation et la régulation du cycle menstruel. Beaucoup de femmes, surtout chez les sportives, pensent qu’il est « normal » de ne plus avoir ses règles quand on s’entraine. Mais c’est tout sauf normal.
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Les conséquences sur le système osseux sont également sévères. Sans suffisamment d’énergie disponible, les ostéoblastes (cellules responsables de la densité osseuse) ne peuvent pas bien faire leur travail et les os sont affaiblis. Le résultat peut être des fractures de fatigue et un risque d’ostéoporose accru.
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Autres symptômes dont on se passerait bien : irritabilité, dépression, confusion, immunité affaiblie, perte de libido, troubles digestifs (constipation, diarrhée, ballonnements entre autres) et anémie.
Évidemment LEA va amener à terme à une baisse de la performance sportive. Mais c’est là que c’est compliqué : ça n’arrive pas tout de suite, et même au début, on peut avoir l’impression de progresser. Et ça parce qu’on a assez d’énergie pour s’entrainer, le problème c’est qu’il n’en reste plus pour le reste. C’est pour cela qu’on peut être en état de LEA pendant longtemps avant de sentir qu’on stagne ou qu’on régresse sur le plan sportif.
Comment en sortir
OK, je pense qu’on est convaincu.e qu’il est bon d’éviter ce déficit d’énergie ou de se sortir de ce cercle vicieux si on pense y être. Comment faire ?
Déjà prendre conscience du déficit si c’est le cas. Ce n’est pas si évident pour certaines femmes, qui ont pris l’habitude de se priver ou de contrôler leur alimentation et se trouvent encouragées dans leur comportement par toutes les fausses croyances sur le corps idéal de la sportive et les régimes miracles socialement validés. Beaucoup pensent manger suffisamment alors que ce n’est pas le cas.
Le plus important est de manger avant et surtout après les entrainements. Sans apport calorique rapide, le cerveau interprète ça comme le signe qu’il faut mettre le corps en veilleuse.
Quoi manger ? C’est là que je ne donnerai aucun conseil précis. D’abord parce que l’alimentation est très individuelle et je pense que se nourrir de façon intuitive est le comportement le plus sain. Et puis aussi parce que nous sommes déjà saturé.e.s de messages sur la nourriture saine et que c’est facilement une source d’injonction supplémentaire dans nos vies déjà bien saturées en contrôles divers.
Comme dit ma propre coach Megan Roche, « all food is good food ». Mangeons donc. Allez, même si je n’aime pas quantifier pour les raisons explicitées plus haut, voici une estimation chiffrée du nombre de calories idéal pour une sportive : 2800 calories par jour. On est très loin des 1200 calories que beaucoup de femmes actives pensent être suffisant.
Si vous pensez flirter avec LEA, ne vous culpabilisez pas. Vous n’êtes pas seule. Je parle d’expérience, ayant moi même traversé une longue période de déception sportive et de fatigue générale. A l’époque —il y a une dizaine d’années— on ne parlait pas encore de LEA. Je pensais manger tout à fait suffisamment, j’avais une vie globalement saine, mais mes entrainements devenaient de plus en plus pénibles, je perdais en envie et motivation, le quotidien était souvent épuisant et mon humeur très fluctuante. Le premier signe médical a été l’anémie avec tout son lot de symptômes pas cool.
A posteriori, je pense que j’étais vraiment en déficit d’énergie, mon alimentation vegan « saine » de l’époque, ne me fournissait tout simplement pas assez d’énergie pour mener de front mon métier d’enseignante, une pratique sportive intense (triathlon) et une vie de maman.
En mangeant plus, sans quantifier ni contrôler, il est tout à fait possible que vous sentiez votre énergie renouvelée, vos performances améliorées de façon significative et que votre vie vous semble globalement plus facile.
Notes :
- Je suis bien consciente que ce type de sujet est l’objet de controverses et d’opinions très marquées. Tout le monde a son mot à dire sur la question et les solutions magiques sont omniprésentes sur internet. Je ne veux pas ajouter à la controverse, ni donner de conseils — les experts le font beaucoup mieux que moi. En tant que coach, je rencontre cette situation encore trop souvent : aménorrhée ou ménopause précoce, troubles du sommeil, troubles de l’humeur, fatigue, manque d’entrain. Ces situations sont complexes et je ne prétends aucunement avoir la solution. Je propose ici une piste d’investigation qui ne comporte pas de risque. Juste une prise de conscience qu’on ne mange peut être pas assez peut faire une grosse différence sur notre qualité de vie.
- J’ai ici parlé des femmes, car Dr Stacy Sims auprès de qui j’ai suivi ma formation de physiologie, s’est spécialisée dans ce public. Mon intuition me dit que le même problème de déficit d’énergie disponible est présent chez les athlètes hommes, peut être pas avec la même ampleur et pas avec les mêmes conséquences. C’est un domaine encore assez peu évoqué, je pense qu’il y a encore beaucoup de pudeur chez les hommes à parler de troubles du comportement alimentaire, de baisse de performance ou d’humeur dépressive. Cet article n’est donc pas réservé aux femmes, messieurs vous êtes peut être aussi concernés.