Cet article m’est inspiré par mes propres expériences et réflexions ainsi que par mes lectures dont la parution de Andrew Holecek dans Tricycle Magazine.
Le spirituel est à la mode
Dans le monde du yoga, le mot spirituel est à la mode. Il attire ou fait peur. Bouger le corps, lui faire prendre des postures, en général on veut bien, s’intéresser à ce que le yoga est vraiment — une voie spirituelle — est à la fois intriguant et intimidant, voire suspect surtout dans un pays imprégné de laïcité. Mais qu’est ce qu’on entend par spirituel en fait ? Et par voie ?
Le spirituel et le matériel : deux opposés ?
Commençons par la notion de « spirituel ». Le terme est en général utilisé en contraste ou même en opposition avec le matériel ou la matière. Et ceci mène à des tas d’interprétations abusives dont un transcendantalisme que je trouve dangereux car il est en pleine contradiction avec le coeur des enseignements dharmiques tels que je les comprends et les pratique. Je m’explique : en opposant le spirituel au matériel, on avance implicitement l’idée qu’il faut s’éloigner du matériel pour atteindre le spirituel. Ou dit plus simplement : le spirituel c’est bien, le matériel c’est mal. Du coup, en s’embarquant dans une voie spirituelle avec cette vue erronée, on place le spirituel comme un but à atteindre dans un au-delà, un futur indéfini qui arrivera une fois qu’on sera enfin débarrassé du matériel et qu’on sera complètement transformé. On fait du spirituel un paradis. Et on tombe dans le panneau qu’on essayait justement d’éviter par la spiritualité.
Le psychologue bouddhiste John Welwood a nommé ce piège « contournement spirituel » (spiritual bypassing dans le texte) : notre tendance à l’évitement de ce qui matériel au nom du spirituel. Et honnêtement je pense qu’on tombe tou.te.s dans ce piège, ça fait partie de la voie justement, et c’est la prise de conscience de ce piège qui finalement nous éclaire sur la véritable nature du spirituel.
Le nirvana n’est pas un lieu
Oui bien sûr, on entend le mot « renonciation », si présent dans les textes dharmiques, et on se dit, ha oui, renoncer au matériel, c’est à dire au samsara pour atteindre l’éveil ou le nirvana. Mais le samsara n’est pas un lieu, c’est un état d’esprit. Ce à quoi on renonce est à notre relation biaisée à la matière, pas au matériel lui-même.
De même, quand on dit que la voie spirituelle est une voie vers le nirvana; on peut penser que le nirvana est un lieu. Mais non, le nirvana est également un état d’esprit, toujours disponible, et non une promesse lointaine.
La voie spirituelle consiste donc à revisiter notre compréhension de la renonciation et du voyage. On renonce à nos tendances habituelles, à nos façons de voir notre vie de tous les jours, à nos idées fixes et nos conventions. Et le voyage est en fait un retour vers soi, vers une perspective plus large, plus directe sur nous-même.
Changer notre relation aux choses ou voir autrement
La voie spirituelle est un changement de relation au matériel. On cherche, grâce aux techniques de méditation, aux enseignements et à ceux qui nous guident, à renoncer à notre état d’esprit samsarique. Comme le disait si bien Trungpa Rinpoche — à qui je dois mes premiers pas sur la voie bouddhiste il y a des années — « Il n’y a pas d’issue vers l’extérieur. La magie est qu’il y a une voie vers l’intérieur ». Si on investigue profondément la matière, on y trouvera le spirituel. Si on ressent pleinement nos corps, dans leurs manifestations les plus subtiles avec un ressenti vaste, sans jugement et direct, alors on touche immédiatement au spirituel. Le samsara est le nirvana ; là se trouve la véritable non dualité. Il y a pas de transcendance, mais une couche épaisse d’immanence.
Entrer en relation avec les choses telles qu’elles sont
On n’entre pas dans une voie spirituelle pour se sentir bien ; on la suit pour rencontrer le réel, la vie et les choses telles qu’elles sont. Pour être vrai.e. Et cela implique d’embrasser à plein bras toute la réalité, nos émotions collantes, nos réactions névrotiques, nos jugements de valeur restrictifs, nos corps limités. Embrasser tout, pas juste ce qu’on qualifie de « spirituel ».
Aller nulle part et être libre
La notion de « voie » ajoute encore à la confusion. Je l’ai dit plus haut, on ne va nulle part. Levez les yeux là de votre écran et regardez autour de vous. Ce qui est là, toujours disponible, la possibilité même de voir, de sentir, d’appréhender, d’être conscient.e de, c’est ça le nirvana. C’est dans la qualité du regard que tout ce joue. Est-ce un regard blasé, sans curiosité, chargé d’attente et de déception, ou un regard frais, ouvert, appréciant la magie de l’ordinaire et reconnaissant sa propre possibilité ?
Tulku Uyrgen le répétait à ses étudiants : « c’est si proche, vous ne voyez pas ; c’est si familier, vous ne le reconnaissez pas. »
La voie spirituelle ne mène pas à une catharsis, un état définitif où le monde nous apparaitrait plein de paillettes et nos volontés seraient toujours exaucées. Non, la voie est circulaire, elle ne cesse de nous montrer que ce sont nos expériences de l’ordinaire qui nous rendent libre. Il y a nulle part où aller. La voie est une histoire de perception, pas une histoire de trajet. Elle nous invite à reconnaitre ce qui a toujours été là, Le Livre Tibétains des Morts nous dit : « La reconnaissance et la libération sont simultanées ».
La sagesse de la non fuite
Pourtant, la plupart d’entre nous cherchons sur le chemin spirituel autre chose que ce qui est là. Une expérience meilleure, autre, que ce dont on fait justement l’expérience là maintenant. Cette motivation est en fait un évitement, un désir de fuir. Pema Chodron a écrit ce livre si puissant The Wisdom of No Escape* — la sagesse de la non fuite — pour corriger cette vision erronée de la voie spirituelle.
Tout cela veut dire qu’on n’atteint jamais vraiment l’éveil, le nirvana ; on cesse simplement d’être captif de nos propres illusions. Comment peut-on donc atteindre quelque chose qu’on possède déjà ? En travaillant notre perception, ou plutôt en la nettoyant, on identifiant les kleshas qui la colorent et s’entrainant à entrer en contact avec nos expériences avec immédiateté et fraicheur. La méditation est cet entrainement. Apprendre à voir sans distraction, apprendre à être, juste être en contact intime avec le réel.
Nous avons besoin d’une voie, de ce mirage qui structure notre entrainement, mais à un moment donné, on doit se réveiller, et voir que la voie n’est pas une destination. Comme le dit l’enseignant Zen Norman Fischer : « Il n’y a nulle part où aller et pas de chemin pour y arriver. On y est depuis le début ».
Cessons de remettre à plus tard notre éveil, arrêtons de reprogrammer notre rencontre avec la réalité. Elle est là, toujours déjà présente au coeur de toutes nos expériences.
* le titre français nous fait perdre l’intelligence dans le choix du titre anglais ; il est traduit par Entrer en amitié avec soi-même.