Chronique d’une aventure himalayenne 2

Publié le 31 octobre 2024Nature

Impressions aéroportuaires

Aéroport de Marseille.

Il est grand, ce n’est plus ce petit aéroport provincial avec ses voitures garées n’importe comment sur le trottoir, déversant de grosses valises et des vieilles femmes voilées en partance pour l’Afrique du Nord.

Des longs couloirs, des labyrinthes de files d’attente et des passages obligés dans les duty free aux leds multicolores.

Une pointe régionale tout de même, les vendeurs des cafés ont tous des marinières. J’associe ça à la Bretagne mais la boîte de com chargée du marketing de l’aéroport a sûrement cherché à évoquer une ambiance cabanon. Elle y est d’ailleurs, les queues au café étaient tout à fait locales, c’est à dire inexistantes. Un amas de personnes et de valises à roulettes enchevêtrées et des commandes qui fusent de tout côté. Quelques étrangers disciplinés essaient de recréer un semblant d’ordre en se plaçant en ligne droite devant la caisse. Mais ils sont vite absorbés par le zig zag chaotique dont Marseille a le secret.

Avion pour Istanbul

Trop de stimulations et de proximité. Envie de fraîcheur et d’espace. Pourquoi les gens parlent-ils si forts ?

C’est étonnant comme le français s’entend plus quand il est minoritaire. Culturellement et littéralement. Mon oreille conditionnée le sélectionne dans les langues environnantes, le turc principalement. Avec ces cédilles sous certaines consonnes. Les c et les s semblerait-il.

Les hôtesses portent des uniformes trop petits. Elles sont boudinées et rajoutent à mon impression d’étroitesse. Je n’aime pas les transports. Surtout ceux où les fenêtres ne s’ouvrent pas.

Trop de choses, un écran qui bouge devant moi, à à peine 50 centimètres. Ceux de mes voisins de gauche et droite sont pleins de traces de doigt. C’est écœurant. Pourquoi nous faire croire à du standing alors que tout est sale et que les hôtesses ont l’air cheap ? Je sens en moi la consommatrice non dupe et passablement agacée.

Plutôt que de me protéger, devenir plus poreuse. Je sens que c’est la voie vers plus d’aisance. M’abandonner au trop plein de sons, à l’inconfort d’un siège étroit et d’un espace partiellement envahi par le coude et le genou de mon voisin de droite. Adopter un regard vague, capable de laisser les images des écrans danser dans un flou salvateur. Me dissoudre, m’oublier.

Justement, dans Moonbeams of Mahamudra, je lis : « in a state in which nothing is identified, a naked or quiet stillness will occur », “dans un état dans lequel rien n’est identifié, une immobilité nue ou silencieuse se produira”.

Aéroport d’Istanbul

Souvenirs

Je regarde les panneaux de départ saturés de destinations lointaines : Téhéran, Doha, Kuala Lumpur, toute une direction imaginée mais vers laquelle je ne suis encore jamais allée. Le vol pour Beyrouth est annulé. C’est ce qui arrête mon regard. Ce pays a tant souffert. J’ai connu plusieurs libanais à Boston. Il y avait le marchand de chaussures qui parlait un français impeccable sans avoir jamais mis les pieds dans le pays; la dame du food truck qui vendait les falafels que j’aimais tant et qui rajoutait du tahini juste parce qu’elle savait que j’adorais ça. Layla aussi avec qui j’avais passé des vacances en Jamaïque en 1995 ou 1996.

Liban, un pays qui a toujours été proche de mon cœur et où je ne suis non plus jamais allée.

Un autre visage me revient aussi à l’esprit. Un homme brun, au regard sombre et intelligent. Je le connaissais bien. Pourtant j’ai oublié son nom. Il parlait français et avait appris l’arabe dans la rue. Il étudiait l’astronomie ou la physique. Au MIT ou était-il à Harvard ? C’est si loin tout ça. C’est comme si c’était des souvenirs qui appartenaient à quelqu’un d’autre.

Bribes et impressions

En faisant la queue pour les toilettes tout à l’heure, j’ai aperçu mon reflet dans la glace. J’étais la plus grande de toute la file. Je me suis sentie suédoise ou danoise. Devant et derrière moi, il y avait des femmes qui n’avaient de haut que les pommettes. Elles parlaient russe je crois. Je me suis demandée ce que cela faisait de se sentir haïe par toute une partie de la planète.

Le turc a des cédilles qui lui font revêtir des allures plutôt sexy. Sous le c, mais aussi le s. Et des trémas qui donnent aux mots un air étonné. Les hommes turc sont gris. Les femmes n’ont pour moi pas encore de couleur mais des yeux noirs et ronds qui défient le patriarcat.

Le grand chic est de voyager tout en blanc crème. Avec une grande écharpe en lin qui ne traîne pas par terre.

La valise à roulettes se porte sur le côté, légèrement en avant du corps. C’est une grande faute de goût aéroportuaire d’y empiler un autre sac menaçant de déverser son contenu dans l’escalator.

La banane à la taille est décidément ringarde, en écharpe elle est stylée.

La casquette et les Birkenstocks pieds nus veulent dire : je reviens de vacances en mer rouge, je me suis tellement marré que je n’ai pas eu le temps de me changer.

Autre faute de goût notable : se promener avec son oreiller d’avion autour du cou dans l’aéroport. Le voyageur habitué ne le sort qu’une fois installé pour la nuit dans son long courrier. Et il.elle a le masque pour les yeux assorti et de préférence de la marque Burberry’s plane edition (ca n’existe pas, je l’ai inventée pour l’occasion, c’est dire que je fais partie des initiées).